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Critiques de livres


Stéphane LAMBERT
Une histoire d'amour
Editions Luc Pire
coll. Embarcadère
2002
196 p.

Un risque à prendre

Ce serait presque un document, ce se­rait presque un livre de recettes, mais aussi un manuel du bien-écrire. Ce serait un roman, ni potentiel comme un ouvroir ni à ouvrir à l'aide de clefs utiles, mais possible, infiniment. Tout peut s'y produire, car longtemps il avance pas à pas, comme prudemment ou avec hésitations. Que faire en effet de ces personnages, qui seraient comme tout le monde ou personne, à la fois banals et déjà marqués au départ, s'il n'y avait entre eux une dissimilarité capi­tale : l'un est l'homme, le second, la femme et le troisième, qui n'a pas plus de nom que les deux autres, s'en distingue au plus haut point car, loin d'être confiné dans une ap­partenance générique, il se définit comme une totalité, prestigieuse à plus d'un titre, du moins on le suppose, puisqu'il est « le jeune écrivain ». Les autres n'ont-ils pas d'âge, pas de fonction, pas de particularité ? Certes oui, entre autres, celle d'avoir presque raté leur venue au monde, mais quelle importance en regard d'un jeune écri­vain au visage d'ange ? Toute histoire a un début et une fin et celle-ci, Une histoire d'amour, n'échappe pas à la règle mais elle va biaisant. Après un faux début où, comme pour éprouver l'outil ou le lecteur, les per­sonnages cheminent calmement côte à côte, dépassant les différents caps de la vie — en­fance, études, rencontre, mariage, procréa­tion — sans encombre, sans même l'attente d'une intrigue, l'auteur, Stéphane Lambert renvoie leur banalité au placard en les confrontant soudain à l'autre. À l'inconnu, au désir, au danger. La vie cesse d'être ce qu'elle était, le fleuve tranquille s'emporte. L'histoire commence vraiment. Très vite, elle s'emballe, se complique, ne se contrôle plus, du moins en apparence. Mais le narra­teur est là qui corrige la copie : « On dit : on ne meurt pas d'amour. Je dis : non, mais il y a des amours dans lesquels on engage plus que notre vie. » Seul il est le maître du jeu et le démontre.

Il démontre comment bâtir une histoire, avec rien ou peu de choses, des personnages anonymes, des visages entrevus, des sil­houettes esquissées, du mode infinitif, de l'indéfini, des on... Puis il prend plaisir à bous­culer tout cela, à saisir l'occasion de la moin­dre faille, du plus petit soupçon, de l'accessoire le plus négligeable pour provoquer une con­frontation improbable avec le risque et l'ex­ploiter, au-delà de toute prévision. Toutes les possibilités sont convoquées, tentées. Des situations provi­soires s'installent puis elles sont délaissées au profit de nouvelles. Car rien n'échappe au contrôle du jeune écri­vain. C'est donc lui qui aura le dernier mot. Du moins, c'est possible. Au lecteur de décider pour cette fois. Ce qu'il ne pourra choisir par contre, c'est la révéla­tion qu'il aspire tou­jours à autre chose, au risque même de se perdre. Alors, la fiction s'impose comme le substitut le plus puissant à une vie banale. Sans elle, pas de salut. Mais quand elle se pré­sente ainsi, sous ses habits les plus ordi­naires, l'aventure se prête aux moins auda­cieux, ils s'en emparent et en font ce qu'ils veulent.

 

Jeannine Paque