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Critiques de livres


Vincent MAGOS
Une saison ailleurs
éd. Luce Wilquin
2000
196 p.

Hors limite

Louis Boissac est député. C'est un homme politique comme on les ima­gine trop bien : pas sûr qu'ils aient des idées mais ils ont, d'une part, femme, enfant, maison et chauffeur et, d'autre part, des piles de dossiers, un agenda chargé et un plan de carrière pour finir ministre. Bref, toute la respectabilité de façade et l'image de la représentation qu'on attend d'eux. Tout se passe bien pour Boissac jusqu'au soir où, par hasard, il revoit Marie, ce grand amour qu'il a abandonné, vingt ans plus tôt, par opportunisme. Les retrouvailles sont d'autant plus violentes que Marie meurt peu après et ce choc émotionnel va lézarder les belles habitudes et la routine de travail dans lesquelles Boissac se complaît. Peu après, à l'occasion d'un congrès à l'étranger, Boissac se fait enlever et racket­ter. Complètement dénué, coupé de son monde habituel, il va se laisser porter par les événements, le fil des rencontres et, un peu hébété, faire un long voyage à la re­cherche de son amour perdu. Vincent Magos est, on le sait depuis Voyage à Saint-Yves, le romancier de la rupture, du voyage non pas initiatique mais vers une autre réalité. Ses héros, pour diverses cir­constances, sont pris à un moment charnière de leurs existences, lorsqu'ils basculent dans un monde nouveau pour eux qu'ils décou­vrent un peu comme s'ils étaient retombés en enfance. « Vous ne faites pas un mouve­ment, c'est le mouvement qui vous crée » (p. 172). Et, il faut le souligner, quelle que soit la situation, l'auteur ne porte jamais de jugement sur ses personnages. S'il y a une morale, elle n'appartient qu'au lecteur. Cette absence de jugement n'a pas que des qualités, elle induit, malheureusement, un gros défaut : celui de ne pas créer un fil conducteur, de ne pas donner une ossature au récit. Les épisodes se succèdent donc au petit bonheur la chance, selon l'inspiration de l'auteur. Le lecteur qui acceptera de jouer le jeu ne manquera pas de sourire de­vant les rebondissements ou les invraisem­blances d'un récit dont l'étrangeté ne sur­prend pas tout de suite tant elle est présentée avec le plus grand naturel. Je dis bien qu'il faudra accepter de jouer le jeu car si on veut bien que la ficelle structu­relle soit un peu grosse, il faut encore ad­mettre un style de la plus désolante plati­tude. L'histoire captive et amuse mais il faut d'abord passer l'écueil assez pénible des premières lignes, des premières pages. Cela m'a demandé un gros effort ; la prochaine fois, ce sera à Magos de le faire.

Jack Keguenne