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Critiques de livres


Marc UYTTENDAELE
Un lendemain matin
Editions Luce Wilquin
1998
276 p.

La vie est un roman, disait-il

Premier roman, Un lendemain matin bénéficie cependant de la signature d'un nom qui nous est familier : Marc Uyttendaele, juriste de formation, professeur à l'Université libre de Bruxelles, a cristallisé récemment l'attention des mé­dias comme avocat-défenseur de personnali­tés politiques mêlées aux « affaires » et tra­duites devant la justice. Premier roman publié, Un lendemain matin eut cependant quelques prédécesseurs, un manuscrit de jeunesse d'une centaine de pages qui fut volé dans un sac à dos au Yellowstone National Park et un texte roma­nesque, parfaitement autobiographique, « un exorcisme contre les défaites de l'exis­tence » et qui repose au fond d'un tiroir. « J’aime trop les partenaires de ma vie pour les livrer en pâture aux regards d'autrui » confie Marc Uyttendaele dans une postface qui tente de remettre la fiction au milieu du paysage. Certes. Toutefois, on est tout de même tenté de se poser quelques questions sur la nature exacte des relations entre l'au­teur et son héros et on s'interroge sur les ef­fets de certaines similitudes biographiques. Philippe Julliard, professeur à l'université, politologue réputé, correspondant occasion­nel au principal journal de la capitale, Le Progrès, nous livre d'abord son histoire amoureuse ; il nous entraîne, au fil d'une écriture alerte, dans l'espace d'une brisure de vie : entre vie de couple, tentation, trahi­sons et solitude. Une année, écrite de dé­cembre 95 à décembre 96, une année entre le bris d'une vie « autoroute », droite et ra­pide, et la lueur de l'aube promise. Le nar­rateur évoque avec brio un temps zig-zag, un parcours malaisé dans les errements des incertitudes : son éclatante rencontre avec Julie, « père diplomate, études à New York, stage à La Repubblica. Un petit génie iro­nique et peut-être méchant », a le goût du fruit défendu, son parfum, ses douloureuses contradictions, ses mornes conséquences. Entre la vie chromo, prévisible, avec Anne, sa femme légitime, et la liberté en « roue libre » entrevue avec une insaisissable Julie de quinze ans sa cadette, « impressionniste du temps », Philippe Julliard titube, vacille. Le lendemain, elle était souriante précise la chanson. Un lendemain matin, la vie a bas­culé. Alors, Philippe Julliard chronique pa­tiemment les dédales de son divorce. Du temps structuré, saucissonné, régenté par les dispositions rigides d'un agenda, on passe au flou mais aussi aux heures creuses, aux attentes interminables. Tout cela donne le temps de la réflexion : sur la société, les dé­tournements politiques, les errements de la démocratie, la justice, le parti socialiste, les pots de vin, la chute dramatique de Lombart, l'inamovible ministre de l'Economie, lâché par ses pairs, victime du « système ». Retour à la réalité : dans cette histoire jusque-là toute de sensibilité, d'individua­lisme et d'intériorité, dans cette histoire d'éblouissement à la fois rêvé, souhaité et fatal, le réel effectue un incontestable retour en force et restructure le temps autour de la préparation d'un procès politique attendu par les médias comme par les citoyens. Le romancier a beau s'ingénier à brouiller les pistes en mélangeant les histoires, en construisant des personnages-puzzles, en additionnant les détails surgis de lieux in­conciliables, on aperçoit les traits de gom­me qui tentent de faire de Philippe Julliard et de son ministre des êtres purement roma­nesques, dans une ville floue d'un pays à peine esquissé... Toute ressemblance avec... serait-elle donc purement fortuite ?

Faut-il voir dans ce retour de la scène poli­tique au sein de la narration un signe des temps parmi d'autres ? L'imaginaire puise obligatoirement aux sources du vécu, n'est-ce pas... Et finalement, c'est au lecteur de zigzaguer ou de choisir entre le rapport au réel qui le renvoie à la triste matérialité du quotidien et la fièvre narrative qui peut l'emporter sur des territoires bien plus aventureux.

Nicole Widart