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Critiques de livres

Guy Vaes
111 films. Chroniques de cinéma (1970-1983)
préface d'André Sempoux
Bruxelles
Le Cri/Académie royale de Langue et de Littérature françaises
2007
256 p.

Le cinéma de papa
par Sophie Creuz
Le Carnet et les Instants n° 149

Poète, romancier (Prix Rossel pour L'Envers en 1983), on en avait oublié que Guy Vaes était aussi passionné de cinéma. Critique même, dans la presse francophone d'Anvers d'abord, à Spécial dans les années septante ensuite. En coédition, Le Cri et l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises publient 111 de ces chroniques, parmi le demi-millier de comptes rendus parus dans ce seul magazine, entre 1970 et 1983. L'ouvrage a été organisé et préfacé en connivence par André Sempoux.

Et c'est tout le bon cinéma de ces années-là qui défile, des chef-d'œuvres ou des divertissements qui nous avaient plu remontent à la mémoire, Amarcord, Le messager de Losey, Pain et chocolat, les grandes heures du cinéma italien, du Jardin des Finzi-Contini au cinéma politique du Bourgeois petit petit, les bons Sydney Pollack, les premiers Woody Allen, les premiers Ken Loach, le meilleur d'Altman, de Bergman, et ce film de René Allio, Moi, Pierre Rivière ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère qui vient d'inspirer une suite à Nicolas Philibert. Ce sont aussi les grandes heures d'une critique a-t-on envie de dire, de celle qui savait lire un film avec des yeux de peintre. «Ainsi débute, écrit Guy Vaes, dans l'atmosphère compacte des Mangeurs de pommes de terre de Van Gogh, un vernis doré en plus, le film de Robert Altman Mc-Cabe et Mrs Miller.» Mais Paul Delvaux, Chirico, Munch sont de la même éloquence pour décrire une atmosphère, un grain, un cadrage.

Quelle merveilleuse idée que de publier ces billets d'humeur enthousiastes ou mécontents faisant honneur aux artistes, au spectateur et au lecteur. Car le film est prétexte à l'écrivain pour ouvrir toutes les portes du sensible, du texte et du sous-texte, à nous mettre sur les chemins de la rêverie éveillée qu'il aime tant, derrière une caméra qui saisit, balaie ou laisse échapper à dessein. Et de fustiger les surlignages grossiers. Moi qui tenais La mort à Venise de Visconti pour un chef-d'œuvre absolu, je découvre que «Thomas Mann écrit comme un pompier», et dans la foulée que Visconti «rate son sujet» en rajoutant une couche pour traduire «ce qui est solennel avec solennité, sophistiqué avec sophistication [...]!» Et de citer Joyce : «Quand il dépeint la vulgarité de Dublin, il innove sur le plan formel, ne verse jamais dans la vulgarité.» Quelle leçon d'analyse…

Guy Vaes est à la fête lorsqu'il peut à la suite de Fellini, déambuler dans Rome comme il le fit à Anvers ou à Londres. «Qu'est-ce qu'une ville? Les Guides bleus ont moins d'épaisseur qu'une fiche signalétique? [...] Pour bien décrire une ville, il faut l'identifier à son expérience la plus intime. Il faut l'avoir vécue, car la ville en soi est illusion. Alors, à la porte les options politiques et sociales, l'histoire et autres fariboles. Tout devient psychologie en actions, en images.» Ce qui vous submerge, et dans lequel trouver son propre sentier est salué par un critique qui loue la complexité jusque dans les mots choisis, ainsi l'humour anarchique de Woody Allen est «le cholalogue de l'esprit», le récit de La nuit américaine est «contrapunctique». Et de faire l'éloge «du langage phatique» de Gene Hackman et d'Al Pacino dans L'épouvantail.

Le cinéma sous la plume du critique Guy Vaes est un être vivant, qui permet d'entrer sans effraction – c'est si rare en ce moment au cinéma – dans «ce que la vie à d'insaisissable, de rebelle à toute approche directe».