pdl

Critiques de livres


Vincent ENGEL
Vae victis
Le Grand Miroir
coll. La petite littéraire
Bruxelles
2001
100 p.

Promenade et dialogues dans Rome

Vae Victis, le nouveau et très court  roman de Vincent Engel devrait V toucher deux publics différents. Le premier se confondra avec le microcosme littéraire belge, qui comprendra très vite qui se cache sous le nom des protagonistes (Marek Mauvoisin et Marc Q. occupent, notamment, une position très semblable dans l'institution littéraire belge... ; Bap­tiste Morgan et Vincent E. mènent tous deux une carrière littéraire au Québec et en­seignent en Belgique...). Il remarquera que les personnages sont plus vieux que ceux qu'il connaît (et que l'écrivain H. B. est mort), retrouvera (ou non) des épisodes dont il a entendu quelques échos, cherchera à démêler le vrai du faux. Se demandera peut-être aussi ce qu'a pu ressentir Marc Q. à la lecture de ce livre qui le montre désa­busé, proche de la mort, pleurant sur sa gé­nération perdue. En lisant le texte en voyeur, ce public ratera probablement l'es­sentiel, comme les professionnels parisiens du livre (critiques, éditeurs...) sont passés à côté de Quitter la ville de Christine Angot, en le considérant comme un règlement de compte germanopratin plutôt que comme l'exposition des douleurs provoquées par les indélicatesses et la violence des autres. Le deuxième public — tout le reste des lec­teurs de Belgique et d'ailleurs — lira ce roman comme les déambulations romaines et les discussions de deux hommes qui se re­trouvent après une longue séparation pour reprendre « le fil d'une conversation stupi­dement interrompue ». L'un, Marek Mau­voisin écrit de la poésie moderne pour un lectorat réduit. Avant de partir à la retraite et dans la mesure de son pouvoir, il gérait la vie des lettres belges. L'autre, Baptiste Mor­gan est un romancier qui travaille, sans beaucoup de joie, dans une université belge. Dans un temps plus ancien, ils ont été amis (si on peut appeler amitié une relation « qui n'est le plus souvent qu'une déclinaison au cas privilégié des relations humaines »), se sont brouillés parce que Morgan a critiqué Mauvoisin dans une de ses conférences, et que celui-ci l'a mal supporté. Entretemps, il a acheté un appartement à Rome où il s'est exilé. Un jour, il propose à Baptiste Morgan de le rejoindre. Celui-ci ignore pourquoi. Le lecteur aussi. Toute la tension de Vae Victis réside dans l'ambiguïté de cet appel. Serait-ce une proposition de filiation spiri­tuelle ? De passation de pouvoir ? En tous les cas, le but de ces retrouvailles n'est ni la volonté de se confesser ou de se repentir pour quelque mauvaise action (il y en a eu), ni celle de faire la morale. Il existe une rai­son « officieuse » qu'on ne révélera pas. Ce roman, écrit dans une langue classique qui ne rechigne pas à l'emploi du subjonctif imparfait, contient des phrases qui, par leur netteté, leur affûtage, font l'effet d'une lame de rasoir cisaillant son sujet pour n'en laisser voir que les blessures, les aigreurs et la noirceur du cœur. On ressort de cette lecture avec un goût de sang dans la bouche.

Michel Zumkir