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Critiques de livres


Audrey VALENTIN
Un autre départ
Féminines
2004
135 p.

Un parfum fort de fleur bleue

Voici, sous la fleur de sa couver­ture bleue et le label tentateur d'une édition Féminines, un parcours étoile d'érotisme que l'on a bien envie de suivre, mais qui reste un peu difficile, tant on y sent le désir de bien faire mais aussi parfois l'effort ou la nostalgie. Avec Un autre départ, Audrey Valentin réussit en tout cas à don­ner corps à une histoire dont elle dé­clare elle-même qu'il n'y a rien à dire. Rien et tout reste à découvrir pourtant de ces histoires qui marchent à côté de nous, juste à notre hauteur, et dans les­quelles nous pouvons verser à tout mo­ment pour peu que la vigilance nous fasse défaut. Quel serait cet autre dé­part, le départ que l'héroïne Laure au­rait pu ou dû prendre, semble-t-il ? Comment pouvait-elle se déprendre d’une marche déjà déterminée, par exemple dans une famille donnée, elle-même relativement immobilisée dans un milieu préexistant ? En allant vers le sud, le soleil, la rencontre, le mariage dont on attend la vie nouvelle, bref vers un faux équilibre que la passion va sou­dain renverser. Laure connaîtra donc l'amour fou pour un autre homme mais devra se contenter du rôle de la seconde et se tenir dans la retraite dorée d'une back street où elle attend le coup de télé­phone, la promesse de joie, la visite sur­prise en pleine nuit de l'amant, sinon le silence ou rien. Vie faite de rendez-vous éphémères et de solitude, partagée entre les émotions à l'état brut et les jours ou les nuits de galère, qui finira par devenir insupportable. Et ce moment où Laure s'aperçoit qu'elle est désormais inca­pable de continuer, où elle refuse de savoir encore, de vouloir, de désirer, c'est celui du départ : métaphoriquement peut-être, elle met sa vieille 205 en marche et fonce dans une obscurité gla­cée mais sur une route bien droite. Sans être triste ou pessimiste, le récit peut charmer ou distiller l'amertume : on en a presque le choix car selon sa tendance ou son humeur, on optera pour le côté positif de ce parcours, cer­tain que quelques moments d'intense passion suffisent à remplir une vie et à reléguer le mal-être existentiel, à moins que le contraire l'emporte et que l'on bovaryse à l'infini, quitte à mourir pour une illusion manquée. Rien dans le texte d'Audrey Valentin ne dirige vrai­ment notre interprétation tant le bon­heur fugitif y est prégnant tout autant que le désespoir inévitable. On songe à Musset et à ses chants les plus beaux dont on sait qu'ils ont fait pleurer. Mais aussi à la force de Lélia. Et à l'inventi­vité, car la dislocation du récit et l'ame­nuisement de l'action déportent le texte vers une forme narrative originale. En définitive, Un autre départ ne peut que persuader le lecteur que l'écriture fémi­nine existe pour dire l'amour, et c'est tant mieux.

Jeannine Paque