pdl

Critiques de livres


Alain van Crugten
Bibardu
Avin
Éd. Luce Wilquin
2005
194 p.

Demain matin, dans la mer noire
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 140

Bibardu est le titre du dernier roman d'Alain van Crugten. C'est en fait le surnom que Joana la Roumaine a attribué à un vieux monsieur très gentil, rencontré dans un endroit que nous garderons secret pour vous en réserver la surprise quand vous lirez ce récit. Il se révèle tellement gentil, ce monsieur, qu'il fera un fabuleux cadeau à sa nouvelle amie, mais surtout qu'il lui rendra le goût de vivre. Pourquoi l'avoir ainsi surnommé? Peut-être pour faire écho à une langue lointaine qu'il faut oublier ou perdre, à ses origines, à un passé douloureux ou à un présent pire encore. Le patronyme de Joana est Barbatu, mais désormais, elle est simplement Jeanne, Sans papiers et SDF, échouée sur le pavé parisien. Comment et pourquoi? Le mystère n'en est qu'approché au long des quelque quatre-vingt-cinq pages où Joana/Jeanne joue le rôle du suspect dans une intrigue policière que des détails cocasses comme les noms, encore eux, et les tics des personnages empêchent de prendre vraiment au sérieux. Seul indice d'un fonds insoupçonné, ces chapitres de mémoires, rédigés à la première personne — c'est la Roumaine qui raconte — qui viennent se juxtaposer dans une intrigue qui pourtant n'en tient pas compte puisqu'elle n'en est pas informée. Voici le régime d'alternance mis en place qui va gouverner tout le livre : du comique de situations, de caractères, de paroles, en ce qui concerne le cadre de l'enquête et une police caricaturale, au sérieux de témoignages directs de notre temps, le sort des pauvres, des malades, des réfugiés, des laissés pour compte… De l'expression de sentiments vaudevillesques à l'échange d'affections sincères et désintéressées. Les deux peuvent cohabiter avec aisance. Par exemple dans cette série de jeux sur les initiales SDF : Sans Déclaration Fiscale, Sans Dessert ni Fromage, Sans Dieu ni Foi, à côté de Sans Douceurs ni Friandises, Sans Droit ni Fric, Sans Drame Final. La forme redouble en quelque sorte ces contrastes thématiques puisque l'auteur fait alterner dans le roman une manière de narration traditionnelle et de longs passages dialogués destinés manifestement à la scène, comme dans cette seconde partie intitulée «Case départ», qui signale un retour en arrière, mais aussi une rupture importante dans le discours. S'agit-il à l'origine de deux œuvres (au moins) que l'auteur a souhaité fondre en une seule? Rien ne l'indique clairement ou ne le suggère par en dessous. Il faut donc absorber cette rupture comme telle en la supposant bien intentionnelle et accueillir le retour au récit dans la troisième partie qui s'oriente, elle, vers le conte pour se terminer dans un paysage idyllique où toutes les injustices sont enfin réparées et les souffrances oubliées ou apaisées. C'est que le retour au pays, autre allusion discrète au monde comme il va, s'il se déroule dans de bonnes conditions est le rêve le plus souhaitable pour celui ou celle qui l'a quitté.