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Critiques de livres


Régine Vandamme
Professions de foi
Bordeaux
Le Castor Astral
Coll. "Escales du Nord"
2006
Ill. de Gordon War
159 p.

La voix tue
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 141

Dès les premières lignes de Professions de foi, le troisième livre de Régine Vandamme, on devine que la personne à qui s'adresse la narratrice, sa mère, s'est probablement tue. Ne faisons pas mystère de l'information donnée en quatrième de couverture : «Régine Vandamme revient aujourd'hui sur le personnage central de Ma mère à boire, au moment où il apparaît que la maladie n'accordera plus aucun sursis à cette femme…» Mais c'est surtout le ton de ces premières pages de notations éparses, venues de partout et de toujours, de celles qui s'agglomèrent sentimentalement pour tracer un portrait affectif, qui indique qu'elles sont déjà d'hier où se conjuguent imparfait et passé composé, pour ne pas dire définitif. On reconnaît aussi, à la grammaire et au cœur qui bat sous ces paroles, que celle qui prend soin de rassembler ces souvenirs hasardés ne peut être que la fille. Celle des deux, celle-là qui déjà avait narré dans un livre précédent la dégradation de sa mère alcoolique sur le mode de la sévérité, de l'apitoiement et de l'amour, avec cette fois-là, «le cœur en charpie» que masquait parfois un humour cruel. Le ton a changé ici. Indulgent certes, plus tendre envers celle qui n'a rien perdu de sa séduction mais tant gagné en gentillesse. La narratrice paraît éprouver, malgré sa peine, un sentiment de paix relative grâce à la certitude du «devoir» accompli, c'est-à-dire le don de soi et l'ancrage à jamais de ce lien incomparable de la fille à la mère. Et pourtant c'est à une mort annoncée qu'il nous sera donné d'assister. On dirait que la mort est moins terrible que la maladie, peut-être parce qu'on a combattu, très durement. Avec succès, si on peut dire, au point d'arracher au temps un sursis, de mériter ce qu'on appelle une rémission, comme pour accumuler des provisions de vie et de courage et se préparer à l'issue prévisible.

Si la proximité est grande, l'émotion intense, la narratrice partage ses souvenirs avec d'autres. Si elle garde le monopole de la fréquence et de l'intimité, que souligne le caractère italique de ses interventions, elle multiplie les angles de réflexion et prend le temps de recueillir différents témoignages. C'est l'originalité de ce récit de donner la parole à ceux qui ont accompagné la malade, par l'exercice de leur profession et la spontanéité de leur sympathie. Ces narrateurs inattendus se relaieront successivement – le médecin de famille, la pharmacienne, l'infirmier, la coiffeuse à domicile, l'épicière, l'ambulancier… –, chacun avec un discours spécifique, comme l'était leur approche respective de Madame R. Celle-ci aura presque le dernier mot, littéralement, car elle aussi recevra le droit de témoigner, muette toutefois, en un long monologue intérieur que n'interrompra aucun point, pas même à la fin. À la narratrice reviendra le fait de conclure le récit, comme elle l'avait commencé, apaisée, réunissant sa famille dans la confiance et l'amour, avec chants d'oiseaux et fleurs colorées. Une manière assez vibrante de se concilier la mort.