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Critiques de livres

Pol Vandromme
Belgique. La descente au tombeau
Monaco
Éditions du Rocher
2008
107 p.

Drapeau en berne
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 152

D'entrée de jeu, nous sommes prévenus : «Ce que l'on désigne sous le nom de politique belge est un défi permanent au sens commun.»

La longue crise traversée par le pays a inspiré à Pol Vandromme un pamphlet rapide, brillant, sarcastique, dédié «Aux Anciens Belges» : Belgique. La descente au tombeau. Sans point d'interrogation : le doute, ici, n'a pas voix au chapitre!

René Swennen avait déjà, à trois reprises, martelé un Belgique Requiem, aux accents de réquisitoire sans appel (la dernière édition date de 2005).

Témoin impuissant d'un naufrage, à ses yeux avéré, Pol Vandromme veut remonter à sa source, éclairer ses causes et sa logique inexorable. Sous l'invocation de saint Augustin : «À quatre-vingts ans passés, je ne cherche ni la gloire, ni le scandale, ni le pardon.»

Voici donc vivement brossés notre histoire, sur le point de s'achever, et notre portrait : curieux Belges, «polyglottes sans pedigree» («Nous fûmes anglais avec Shakespeare, russes avec Dostoïevski, espagnols avec Cervantès, français avec Dumas»). Étrangers au langage martial, aux grandes orgues qui soulèvent l'âme. «N'appartenant à personne, ce qui est un privilège, mais appartenant mal à notre quant-à-soi, ce qui passe pour une infirmité.» Décidés pourtant à former une nation, avec pour pères fondateurs Léopold II et Henri Pirenne. Précédant Albert I", «le seul de nos rois qui sut assurer la Belgique des Belges l'espace d'un règne».

Une Belgique à laquelle la Flandre ne cherchait pas querelle. Où l'on pouvait écrire en français sans cesser d'être flamand», à la manière de Verhaeren et d'Elskamp... Il ne fallait pas confondre avis de turbulences (badigeonnage de plaques et autres tracasseries) avec avis de tempête. L'union faisait toujours la force, même si la tentation autonomiste existait dans l'ombre.

Elle n'était d'ailleurs pas l'apanage du Nord. Si Pol Vandromme stigmatise «le cancer du flamingantisme», qui s'étendit d'autant plus qu'il n'eut longtemps en face de lui qu'ignorance et cécité, il n'épargne pas les dérives du wallingantisme, qui s'affirme dès 1912. Texte initial, capital : la «Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre», publiée par Jules Destrée, cet été-là, dans la Revue de Belgique. Il en reproduit des morceaux choisis, que l'on trouvera, selon son humeur ou son tempérament, affligeants ou désopilants. «Un paysan campinois et un ouvrier wallon sont deux types distincts d'humanité.» Flamands et Wallons? Rien de commun, rien en commun non plus. «Les sensibilités sont différentes : telle idée, tel récit qui enthousiasmera les uns, laissera les autres indifférents et peut-être même leur fera horreur.» Mais Destrée se surpasse quand il considère la population bruxelloise, qui «semble avoir additionné les défauts des deux races en perdant leurs qualités. [...] Elle ne croit à rien, est incapable de générosité et d'enthousiasme, soupçonne toujours chez autrui le mobile bas et intéressé, abaisse par la zwanze toute idée qui la dépasse».

Dans son sillage, l'encyclopédie La Wallonie opère un tri parmi nos écrivains qui excite la verve de notre polémiste, citant notamment Marcel Thiry au sujet de Charles Van Lerberghe, étiqueté «flamand d'après la nationalité du père, mais si essentiellement wallon de par son oeuvre et de par sa mère». Et commentant : «Pourquoi l'ascendance maternelle l'emporte-t-elle sur l'ascendance paternelle? On doit admettre de confiance l'authenticité du certificat de bonne race délivré à ce sang mêlé. Quant à son oeuvre, La chanson d'Ève, en quoi est-elle wallonne?» Sans oublier le Manifeste pour la culture wallonne, décrétant en 1983 que la Wallonie entend désormais exister sur la carte des États comme entité propre» et n'entendant pas que la culture wallonne soit inféodée à la Communauté française de Belgique...

La conclusion s'impose : «Du début à la fin du XXe siècle, par l'ethnie et la culture, comme par la race et le sol, le wallingantisme et le flamingantisme voulaient la fin de la Belgique par les mêmes moyens, dans un commun mépris de Bruxelles.

À la différence que le pouvoir d'influence du premier fut — et demeure — limité.

Que dire du paysage actuel, sinon qu'il est ubuesque à force de complexité, empêtré dans une pléthore d'organes de décision, de perpétuels conflits de compétences et d'intérêts...

L'avenir? Pour l'auteur, la cause est entendue. Le divorce, consommé. «L'État démembré et dépecé ne sera plus qu’une coquille vide; le flamingantisme l’aura dissous pour de bon. Restera une fiction d'État, que l'on continuera d'appeler Belgique, par habitude, politesse-rétro, par gratitude aussi envers d'anciens Belges – Simenon, Michaux, Hergé, Verhaeren, Ensor, Memling –, dont la mémoire n'aura pas été effacée par les nouveaux temps chaotiques et les nouveaux messieurs amnésiques.»

Heureusement, son pessimisme crépite d’étincelles narquoises, et son désenchantement garde le goût du panache. La consolation du style.