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Critiques de livres


Pol VANDROMME
L'humeur des lettres
chroniques et pastiches
Editions du Rocher
2005
322 p.

Ecrits sur le vif

Sous le titre L'humeur des lettres, sé­duisant mais un peu court, Pol Vandromme nous livre une mois­son de chroniques littéraires, prolongée par une douzaine de pastiches, ces exer­cices de style et de connivence dont il a le secret.

Esprit libre et frondeur, plume tour à tour incisive et soyeuse, Pol Van­dromme lit comme il écrit : passionné­ment. Et cette galerie de portraits, enle­vés mais pénétrants, résume avec panache une vision exaltée de la littéra­ture, en même temps qu'un art de la lecture et de la critique alliant l'acuité et la ferveur, l'impétuosité et l'exigence. Souvent, le don de la formule étincelle. Comme dans cette définition d'Emma­nuel Berl : un sage de la race hardie. Ce salut à Jacques Benoist-Méchin, avec qui la langue de givre et de feu du XVIIIe siècle était de retour. Cet hommage ingé­nieux à l'auteur du Parti pris des choses : Ponge se méfiait trop de la petite littéra­ture des grands sentiments pour ne pas in­venter la grande littérature des petits riens. Les trois mots qui lui suffisent pour ex­primer exactement le talent, la manière d'Eugène Fromentin : Un élan, une promptitude, et un retrait. Ou encore cette défense catégorique et drôle de Corneille : II y a un Shakespeare fran­çais, la France ne sait pas qu'il existe. Parfois, le trait se fait cinglant ; l'ironie, féroce. Injuste. Est-ce bien Malraux, ce champion du ratiocinage philosophard et de la vantardise culturelle ?! Et laisse­rons-nous réduire Lamartine poète à un navrant fatras : La ritournelle lar­moyante, le ramas des conventions sucrées, la rengaine du vague à l'âme, le cœur qui n’en finit pas de battre ses émois, l'âme qui prend eau de toutes parts, les senti­ments à la dérive, les mots engourdis dans le ronron. Non, mille fois non ! Certes, Pol Vandromme célèbre en revanche le grand prosateur méconnu que fut La­martine. Mais nous ne le tenons pas quitte pour autant de sa charge contre l'auteur du Lac... \ Roger Martin du Gard se voit non moins méchamment étriller : L'intention de l'artisan est tra­hie par la défaillance de l'artiste. Trop de soins et de minuties : pas assez d'élans et de risques. [...] Roger Martin du Gard pé­trissait une pâte sans levain. Il avait beau s'appliquer, rien ne jaillissait. Sûr de ses dédains, il l'est plus encore de ses enthousiasmes, de ses admirations enflammées, et excelle à rompre des lances. Pourfendant avec une particu­lière allégresse les pédants à férule, cou­pables de condescendance à l'égard de son cher Dumas ; la cornichonnerie di­plômée, qui n'a rien compris à son génie épique de conteur. Le verdict tombe, sans appel : Ne pas trembler de joie et d'impa­tience en compagnie des mousquetaires ne peut être que le fait d'une âme morte. Mais le ferrailleur inspiré se double d'un analyste subtil, qui sait comme personne s'imprégner d'une œuvre et en cerner l'essentiel dans la prestesse d'un croquis. Ainsi de cette évocation d'une rare justesse de Louis Guilloux : Il est de gauche, mais à l'écart, solitaire, fidèle, irréductible, avec la pudeur sans artifice et l'élégance sans embarras des âmes fortes. La nature populaire se confond, chez lui, et presque à son insu, avec le naturel aris­tocratique. Ou de celle de Colette, qui commence magnifiquement : L'instinct la gouvernait. Il était le sel de sa terre, le soleil de son ciel, la mélodie de son chant. Un instinct de maraudeuse cajolait le fruit d'or avant d'y enfoncer ses dents. L’œuvre de Colette portait la marque de cette caresse et cette morsure. Pour pressentir, saisir et traduire l'hu­meur des lettres, point n'est besoin, sans doute, d'avoir une théorie de la littéra­ture (encore que n'en soit pas loin celui qui affirme : qu'est-ce que la littéra­ture ? Une esthétique. Cela d'abord ; cela seul, peut-être}. Mais il faut avoir, dès l'enfance, lu éperdument. Perçu que là se vivait l'aventure, le voyage dont on ne revient jamais, et se révélait l'infini du monde, de soi. Il faut avoir aimé la littérature à la folie ; avoir éprouvé comment, grâce à elle, la vie s'ouvre, s'illumine, palpite, s'approfondit. Car un écrivain fait chanter la vie comme la vie ne savait pas qu'elle pouvait chanter. On n'oubliera pas ses pages intelli­gentes, fougueuses, vibrantes sur le car­dinal de Retz, Byron, Hoffmann, Nietzsche, Nerval, Giono, Jules Renard ou Dominique de Roux. On aurait aimé connaître son sentiment sur Ro­bert Musil, Siegfried Lenz, Raymond Queneau, Georges Perec... Et, puisque Flaubert ne figure pas dans cette « littérature vagabonde », qui musarde d'Alain à Voltaire, c'est à lui que nous laisserons le dernier mot, qui s'inscrit avec bonheur dans la ligne chère à Pol Vandromme : Le style est autant sous les mots que dans les mots. C'est autant l'âme que la chair d'une œuvre.

Franchie Ghysen