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Critiques de livres

Pol Vandromme
Vagabondages. Chroniques buissonnières
Monaco
Éditions du Rocher
248 p.

La fête des mots
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 149

Deux ans après les chroniques et pastiches qui composaient, avec une fougue batailleuse, sarcastique ou fervente, L'humeur des lettres, Pol Vandromme nous entraîne dans des Vagabondages dont on reconnaît immédiatement l'allure et le ton.

Si sa précédente galerie de portraits traversait allégrement les siècles, du cardinal de Retz et ses éblouissants Mémoires («Si je n'avais droit qu'à un livre pour l'île déserte, c'est celui-ci que j'emporterais») au cher Paul Léautaud («un solitaire dont le pittoresque ne doit pas masquer la rectitude et la hauteur»), elle s'en tenait aux écrivains disparus.

Dans les Chroniques buissonnières d'aujourd'hui, notre hussard de la critique concentre sa verve sur les contemporains. Le plus souvent à partir d'un livre (dont le titre n'est pas toujours mis en évidence, voire pas même cité, ce qui est légèrement frustrant!), mais le dépassant. Ainsi, à propos de la publication par José Cabanis, en son grand âge, de ses lettres de jeune déporté en Allemagne, occasion pour le vieil écrivain d'un poignant retour sur soi et d'une méditation inquiète sur l'avenir de ses livres, ce jugement ferme, discrètement ému, qui embrasse toute l'œuvre : «Disons l'évidence : qu'un essayiste de sa qualité, qu'un romancier de son exigence n'a rien à craindre de la postérité. Puis, disons ce que l'expérience enseigne de siècle en siècle : que l'insatisfaction d'un écrivain, désespéré de ce qui lui semble un inachèvement, est toujours le signe qui le distingue parmi les grands.»

On aime l'élan et la justesse, le lyrisme et la précision de ses célébrations. Le Jean d'Ormesson de Presque rien sur presque tout : «Aucun auteur contemporain ne possède ensemble sa culture encyclopédique et l'alacrité de son style, son goût du vertige et son appétit de bonheur, la vibration de sa rêverie cosmique et l'ingéniosité de son égotisme facétieux.» Le Jean-Marie Rouart de Nous ne savons pas aimer : «Il ne dit la passion qui enfièvre, l'étincelle magique qui embrase que pour mieux dire l'impuissance d'aimer, ce qui mystérieusement éteint les braises, répand les fumées de retombée, rompt l'harmonie miraculeuse. Cette notation fulgurante : "L'amour meurt d'exister".»

La sûreté de ses traits : «Malraux a toujours menti, jamais de façon médiocre.» Son art du raccourci, où l'essentiel est saisi avec une lumineuse exactitude. Tel ce portrait-éclair de Simon Leys : «Un caractère, une rectitude, un style. Quelqu'un avec quelque chose de la souveraineté du génie.»

L'insolence de ses ironies : «Philippe Sollers fait courir le bruit qu'il est un grand écrivain. Il ne devrait pas se donner tant de mal. Pour deux raisons, au moins. La première, commune : trop de petites mains, qui savent son importance parisienne, s'apprêtent à chanter sa louange. La deuxième, plus rare : cela saute aux yeux qu'il lui arrive d'être quelquefois ce qu'il se flatte d'être.»

L'exécution est parfois sans appel. Plus d'un lecteur (pas moi!) se récriera sans doute devant celle d'Annie Ernaux : «Se perdre, journal d'un roman, le degré zéro de la pensée, du sentiment, du style.»

Et l'on retrouve, disséminés mais tenaces, ses coups de griffe moqueurs à l'adresse de la critique professorale, des sorbonnards sentencieux, des sociologues «qui ne comprennent rien et qui dès lors expliquent tout».

Lui reprocher ses partis pris éclatants? Nous n'y songeons même pas! Qui aime avec cette passion la littérature a droit à ses outrances (souvent belles), à ses emportements (toujours sincères). Mais nous ne le tenons pas quitte de certaines aversions où point la méchanceté (Simone de Beauvoir).

Ni d'injustes dédains qui frisent le dénigrement (Roger Martin du Gard, Marguerite Yourcenar).

Reste la joie de savoir qu'il existe encore des critiques inspirés, flamboyants, irrévérencieux, s'engageant avec une ardente conviction… après avoir tant ironisé sur «la littérature engagée»!