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Critiques de livres


Guy GOFFETTE
Verlaine d'ardoise et de pluie
Gallimard
« L'un et l'Autre »
1996
157 p.

Une connivence de pluie et de poésie

Parmi l'abondance de textes qui éclosent au sujet de Verlaine à l'occasion du centenaire de sa mort, au milieu des dizaines de biographies qui lui ont déjà été consacrées, l'évocation de Guy Goffette, Verlaine d'ardoise et de pluie, nous apparaît aussi fraîche et sensible que son titre l'in­dique, à cent lieues des prétentions objectivistes et autres ambitions plombées. Les pas qui entraînent le biographe vers le poète des Fêtes galantes sont tout au contraire souples, aériens, ne se refusant aucune incartade aux fins de détailler un paysage secondaire ou leur propre émotion. Le livre consacre la rencontre entre deux personnalités fort di­verses mais pleines d'accointances, entre deux poétiques. Les voix se mêlent, ainsi que les vers, en italique ceux de Verlaine, droits et détachés du corps du texte ceux de Goffette : « O verre verdoyant des étangs / où, calmes, les loups gris s'en allaient / boire la nuit, et leurs grands yeux blancs / signaient l'ombre comme en un ballet. » S'il y a donc, désormais, « le Verlaine de Goffette », il est sans conteste ardennais. C'est la terre de là-bas, ses couleurs et l'eau dont elle est gorgée qui nourrissent le mieux les images du livre, précisent la sil­houette de l'éternel arpenteur verlainien et définissent encore l'obstination, la candeur et les paniques du premier âge. « Pays qu'on est, pays qu'on reste ». L'ouvrage est partagé en six chapitres qui organisent, sans sous­crire forcément à l'ordre chronologique, la vie de Verlaine autour de quelques thèmes éloquents. L'agonisant que l'on découvre ainsi, affalé sur le carreau d'une chambre parisienne, au début d'« Un pays sur la route », n'a pas renoncé à marcher son dernier chemin de campagne. C'est aussi le prétexte à l'évocation des épouse et amies, des années miteuses de la fin, de quelques chansons. Goffette ne cessera de revenir ponctuellement à cette image du poète mourant qui, d'ailleurs, semble enfanter tout le livre : « La plénitude et le manque, systole, diastole, flux, reflux, qui font aller l'homme comme la mer, d'un bord à l'autre de lui-même. L'égarent, le renversent, le re­lèvent. »

Puis ce sont « Les Bocals » conservant, dans un peu d'esprit-de-vin, les corps de la sœur et des deux frères aînés de Verlaine, au fond de l'armoire de sa mère. Trois boîtes de pan­dore prêtes à déverser leurs sortilèges, trois urnes pleines d'effroi et vides des mots qu'il reste à inventer, pleines de mort et vides des vies qu'il faudra embrasser : la cousine Elisa, Rimbaud, Lucien Létinois. L'on rencontrera encore le grand-père alcoolique de Bertrix dont Paul-Marie s'est efforcé d'assurer, en toute inconscience, l'indigne héritage Une infusion de Verlaine »), la vierge Mathilde qu'il élira pour sa ressemblance avec un tableau de Rembrandt (« La mort de la vierge »), le fils Georges et l'indulgent curé de Corbion-sur-Semois, Jean-Baptiste Dewez. L'on visitera la brasserie, la prison et « la Maison des couleuvres » des derniers sé­jours en Ardennes.

Quelques repères, donc, contre lesquels la silhouette mongole de Verlaine revient buter (systole, diastole) et qui éclatent en tableaux plurivoques. Juste cinq ou six bornes dépassant du paysage ardennais, pré­sent ou fantasmé, coloriant tout en vert d'enfance et d'absinthe. Si le portrait doit beaucoup, bien qu'il soit de toute évidence très documenté, aux rêveries de Goffette, on ne peut s'empêcher de penser qu'il com­porte souvent moins de trahisons que certains travaux doctes et péremptoires écrits sur le sujet. Il laisse en tout cas Verlaine palpiter son propre rythme et distiller, pour longtemps encore, sa fameuse musique.

Françoise Delmez