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Critiques de livres


Xavier DEUTSCH
Victoria Bauer !
Le Cri
1996
201 p.

Contes d'amour et de mort

Il est décidément bien réconfortant de constater que nos lettres françaises de Belgique comptent quelques jeunes au­teurs pleins de vitalité. Xavier Deutsch en est un, qui publie aujourd'hui coup sur coup deux livres, l'un aux éditions Le Cri, l'autre chez Labor. Coup d'œil sur sa bi­bliographie : pas moins de douze titres à ce jour, qui naviguent entre récits poétiques et romans dits « pour la jeunesse» (ceux-ci en Page Blanche chez Gallimard et Médium à l'Ecole des Loisirs). Pourtant, il se défend d'écrire pour un public précis. C'est que le pas n'est pas bien grand parfois entre une littérature éditée dans les collections pour adolescents — littérature qui a considéra­blement évolué ces dernières années en qua­lité et en diversité — et celle qu'on destine aux seuls adultes. Ainsi, dans son dernier roman, Victoria Bauer !, Xavier Deutsch s'adresse-t-il aussi bien aux jeunes gens qu'à leurs aînés. Parcours initiatique, éducation sentimentale et carte du tendre, les ingré­dients sont réunis pour créer une histoire d'amour un peu folle, à la naïveté feinte, mais d'un grand pouvoir évocateur. Tout l'art de Deutsch consiste à sans cesse élever un récit aux allures réalistes au niveau d'un lumineux conte poétique. Au conte, il em­prunte la structure des défis à relever pour accéder à un état de conscience supérieure, avec cette touche de merveilleux qui génère une géographie et un contexte historique aux résonances parfois épiques. Car c'est à la poésie que tout revient enfin, au travers d'une langue épurée, hautement suggestive, riche de couleurs et de fausse innocence, avec de beaux passages oscillant entre rémi­niscences rimbaldiennes et inventaire à la Prévert, et un petit nombre d'images oniriques qui ponctuent régulièrement le texte. On pourrait craindre cependant qu'un récit aussi dense de signes et de sens, de réfé­rences plus ou moins voilées, de tant d'in­tentions, ne devienne pesant. L'écueil est évité. Sans doute le doit-on à la figure du personnage principal, ce Lionel qui balade son ingénuité au travers de la vie : « il s'émerveille, il porte un regard propre et lu­mineux comme de l'eau sur les jours et les nuits de l'existence ». Cette fraîcheur, on la retrouve dans les photos qui émaillent le roman, contrepoint des clichés que le héros s'engage à prendre, comme autant d'épreu­ves dans le long chemin qui mène à la révé­lation amoureuse.

En revanche, dans le petit livre de la collec­tion Espace Nord Junior, apparemment nulle tentation de saturer l'écriture. Peut-être parce que Pas de soleil en Alaska était un défi, s'agissant d'un ouvrage de commande (par l'Agence de Prévention Sida), sur un sujet précis (l'exclusion) et pour un public ciblé (les enfants). A toutes ces contraintes, l'auteur répond avec talent, efficacité et sen­sibilité. Comme si l'astreinte, loin de corseter son imagination et son sens poétique, lui permettait d'épurer au mieux les qualités de sa narration. Avec ses allures de légende cau­casienne, ce court récit stylisé aborde de façon limpide le thème du sida, non dans une perspective de prévention (on s'adresse aux plus jeunes), mais dans sa dimension sociale : quelle attitude adopter face aux vic­times de cette maladie « qui fait qu'on vieillit à toute allure jusqu'à cent quatre-vingt-quatre ans, ou même plus » ? Un dos­sier à deux volets complète l'ouvrage : l'un s'adresse directement aux enfants avec quelques explications techniques, l'autre aux parents et enseignants qui voudront exploi­ter le livre à des fins pédagogiques.

Dominique Crahay

Xavier DEUTSCH, Pas de soleil en Alaska, Labor (coll. « Espace Nord Junior »), 1996, 140 p.