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Critiques de livres


Patrick VIRELLES
Un puma feule au fond de ma mémoire
éd. Labor
Bruxelles
2004
368 p.

Portrait de l'artiste en garnement

Les aléas ont fait que nous avons un peu tardé à rendre compte du dernier roman de Patrick Virelles. Qu'à cela ne tienne, son person­nage (et son écriture !) y montre un tel souffle que ce livre paru à l'automne conviendra encore pour l'été, sur une terrasse plutôt qu'au coin du feu... Virelles est-il en train de nous faire le coup de l'autobiographie romancée ? On pourrait le penser de prime abord, mais je serais plutôt enclin à dire qu'il a sélectionné son côté « galopin fron­deur » pour donner chair à un person­nage traversant des circonstances et des époques qu'il a bien connues, dont il rend compte, selon l'humeur du souve­nir, avec tendresse ou causticité au fil d'une plume qui ne cherche rien tant — pour faire mouche le plus souvent — que le sens de la formule. Chez Virelles, ce n'est pas nouveau, le plaisir gourmand d'aligner les mots et de construire des phrases avec une grâce désinvolte prime sur le sujet traité, lequel ressemble tout compte fait à un prétexte à cette joute rhétorique qu'il mène face à la page blanche. Il n'empêche, le choix présent n'est pas innocent : exposer le monde par le regard d'un enfant permet d'en dire long sur les contraintes — ou les permissivités — à travers lesquelles une existence se constitue. Frédéric est né en 1939 et grandit dans une maison bourgeoise du quartier Brugmann (la place, pas l'hôpital) à Bruxelles, maison dans laquelle il est hanté par le souvenir de son oncle, « Mandré », lequel a disparu dans des circonstances obscures après avoir mené une vie aventurière dont il avait ramené, entre autres, un puma qui a grandi dans le grenier. Mais si le souvenir du puma lui est propre, l'image de l'oncle lui est sans cesse rappe­lée — il lui ressemble ou le singe — par les deux femmes qui partagent sa vie. Le père étant absent pour cause de guerre, notre petit homme subit donc — ou ruse avec — l'autorité de sa grand-mère, plu­tôt conciliante, et de sa mère, un peu coincée. C'est que l'aïeule, à qui appar­tient la maison, a su tirer les marrons du feu d'une famille qui s'était enrichie — avant de déchoir — dans le jenever et advocaat quand la mère fait figure d'in­truse dans cet intérieur bourgeois car elle vient de la campagne, de Boutersem. En somme, entre celle qui a l'argent et celle qui peut se fournir en œufs règne une détestation cordiale, mais notre héros, mal­gré des temps difficiles, peut grandir tran­quillement en fomentant ses quatre cent coups, présents et à venir, sous les aus­pices de l'une ou de l'autre. Ou, tiraillé entre une hugolienne au second étage et une pro-Musset au premier, recevoir les rudiments de ce qui deviendra un style qui, aujourd'hui encore, promene sa phrase comme un canard son croupion, un coup à droite, un coup à gauche et encense l'adjec­tif comme un curé bringuebale son brûle-parfum à l'offertoire.

 

Le choix des termes dit assez que je sur­vole en racontant qu'il va jouer au Sioux bariolé dans le Far-West des jardins voi­sins, fumer sa première cigarette, affir­mer effrontément la non-existence de Dieu devant des religieuses chargées de son éducation ou vérifier si son poisson rouge sait vraiment nager dans de la vraie eau en le plongeant dans un bénitier... Hélas pour Frédéric, il tâte ainsi quel­quefois d'un souvenir ramené d'Argen­tine par son oncle adoré : une cravache de gaucho. Et lorsqu'il recevra son totem scout, puma lascif l'animal ré­veillera en lui un souvenir douloureux, mais l'épithète sera précisé quant à ce qui constitue l'objet de tous ses intérêts. Un penchant dont il ne se détournera — temporairement ! —qu'en s'abîmant dans la littérature : passivement, plongé dans la lecture (les seuls moments où sa turbulence est en sourdine) et active­ment, mettant sa plume au service de ses condisciples pour des dissertations rétri­buées ou quelques écrits publics qui le signaleront aux autorités de l'athénée... En quelques lignes, c'est ce que je peux donner de la trame d'un roman foison­nant, construit sans souci de chronologie, au fil d'une plume qui s'attarde à cer­taines circonstances pour les illustrer, re­bondit ailleurs dans le temps (avant ou après), fait le tour d'un personnage avant de l'abandonner définitivement ou l'ef­fleure pour mieux l'enrichir ensuite. Au gré des mots, Virelles virevolte de digres­sions en à-propos pour narrer cette en­fance et cette adolescence sur le ton de la gaieté irrévérencieuse avec un sens de la formule, drôle, généralement bien embal­lée, qui fait aussi flèche de jeux de mots plus potaches. Ce style fleuri et imagé est naturel, mais on peut soupçonner l'au­teur d'avoir de la complaisance pour cer­taines longueurs ou les développements alambiqués, de s'amuser à composer des morceaux d'anthologie, luxuriants mais tordus. Quant à la vraisemblance de l'his­toire, voici ce qu'écrivait l'oncle disparu dans sa dernière lettre : Ne crois rien de ce qu'on te dira à mon sujet. Plaisirs de la fic­tion, et de ses figures.

Jack Keguenne