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Critiques de livres


Hubert ANTOINE
Vociférations
Bruxelles
Editions Le Cormier
2000
41 p.

Savoir hurler

Remarquer le remarquable demande parfois du temps. Composé de trente-trois poèmes en prose, Vocifé­rations, le troisième recueil d’Hubert An­toine, mérite sans doute mieux que le si­lence qui accompagna sa discrète sortie en décembre 2000. S'il est question, dès le texte d'« Avertissement », d'un « singe hur­leur », « hors de lui, exprimant ses tumeurs », encore faut-il s'entendre sur la nature de ce qui hurle et vocifère, et sur la portée des cris proférés. C'est en effet une étrange gueulante qui serait ici poussée, où un au­teur — qui, en dédicace, se reconnaît « abs­cons » — accumule aphorismes saugrenus, métaphores aberrantes, notations aussi brèves que déconcertantes : « Ton aura dé­ploie trente-six chandelles qui viennent priser les phalènes (claires comme le sang de la poche des eaux, un bâillement d'hippocampe signifie leur cuisson). / Par désir de plaies, le front se fouette aux noisetiers dont les chatons verts ar­borent fidèlement la natte du négus (...) » L'ensemble pourrait faire penser au cahier d'exercices d'un élève surréaliste assez doué — et c'est quand même un peu cela. De même, les Vociférations s'apparenteraient à d'abruptes Illuminations, plus fantasques, plus décousues peut-être — et l'on songe aussi à des poètes de la cruauté ironique comme Lautréamont ou Michaux. Toute­fois, si l'on ne s'en tient pas au clinquant superficiel de métaphores qui se veulent inouïes, en d'autres termes si l'on prend au sérieux — comme il se doit — le signifié de chaque texte, on s'aperçoit que l'on a sous les yeux un univers à part entière, que l'écrivain a pris soin cependant de secouer, d'agiter en tous sens afin de le restituer comme si tout y apparaissait cul par-dessus tête et que chaque chose y acquérait une va­leur et une dimension différentes, la bes­tiole et le sang se réifiant, l'objet s'animant, s'humanisant ou s'animalisant : « Dans la gueule des deuils où prennent les corbeaux leurs pennes, un bulbe de liliacées perd sa der­nière dent. Un goupillon de pellicules arrose le vase de nuit, la perruque se pose à terre. » Dans ce monde bâti par le seul pouvoir des mots, dans ce monde qui s'avère toute cohé­rence et toute incohérence à la fois, Hubert Antoine semble, à divers moments, prendre le lecteur à témoin, comme si un besoin de communication se faisait jour malgré tout, ou comme s'il lui restait quelques bribes de message à transmettre : « Tu bois les démis­sions d'un siècle millénaire ». Emaillant son bestiaire fabuleux de sentences glacées ou co­lériques (« Tu réclames des honoraires. Ta plai­doirie ne vaut pas une noix sous le marteau du juge. »), il n'a pourtant aucune morale à déli­vrer : il n'y aurait, nous dirait-il plutôt, que la poésie seule — comme un bizarre cadeau.

Laurent Robert