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Critiques de livres

Sandrine Willems
À l'espère
Bruxelles
Les Impressions Nouvelles
2008
221 p.

Renouveler l'histoire d'amour
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants n° 151

Peu d'indices pour dater le dernier récit de Sandrine Willems , À l'espère. Il pourrait se passer hier, ou avant-hier, ou en un temps plus lointain où les saisons étaient marquées, un temps livré à l'imagination du lecteur, tant ses repères seraient symboliques. En revanche, le texte, tendu dans l'effort de réconcilier les règnes de la nature, fourmille de précision pour désigner les parfums, les murmures, les silences, la qualité du jour ou de la nuit, dans la luxuriance d'un Luberon de légende, sans villas et sans piscines. La nature est donc omniprésente, sauvage ou domestiquée avec raison, comme doivent être taillées les vignes en juste proportion pour amener tous les fruits à maturité. Celui qui assume cette tâche avec art et patience s'appelle Mahieu, un vigneron amoureux de sa vigne aussi idéalement que le jardinier de Tarente l'était de son jardin. Comme celui-là, il est mesuré en tout, vit et se contente de peu et par-dessus tout de la satisfaction du travail bien fait, jouissant modestement de la récolte noire et ronde des raisins et des olives dont il tire le meilleur. Jusqu'à un certain jour du moins, où une rencontre imprévue déclenchera en lui la passion et changera sa vie. L'animalité est présente dans le tableau. Une chèvre, en effet, dernier vestige jalousement gardé d'un troupeau disparu, concentre sur elle toutes les attentions dont son maître est capable en dehors de ses soins botaniques. Même le sommeil, il le partage d'une certaine manière avec elle lorsqu'il s'enveloppe dans la bourre tirée de son poil. Cependant, las parfois de ménager les saisons et de veiller à la bonne entente des forces antagonistes qui l'entourent, Mahieu a d'autres envies, comme celle de s'attacher à un corps féminin, comme il le fait si souplement des sarments de ses vignes. Il n'est certes pas le seul humain sur ce territoire. Un ami lui rend visite de temps à autre, un gardian venu de Camargue. D'autres perturbent son paysage, le violentent : un chasseur brutal et sans scrupules, un seigneur, propriétaire des terrains, plus désireux de s'offrir un beau tableau de carnage en pur cérémonial que de pourvoir à sa table. Et puis, il y a elle, la «masco», dont la beauté s'accorde avec les feuillages parfumés, la sorcière dont le pouvoir guérit du mal et fait fleurir la rose noire. Elle enfin, qui devient l'objet de toutes les pensées du vigneron qui s'épuise à la guetter.

On aura compris que, dans ce récit où chacun peut lire ce qu'il cherche, Sandrine Willems a construit au moins une histoire d'amour, sinon deux, en dehors des sentiers battus, au propre et au figuré et qu'elle y renouvelle les représentations du désir et de la passion. C'est une réflexion profonde sur l'échange amoureux qu'elle développe sous une profusion d'images, un échange inégal parfois, selon qu'on donne ou qu'on reçoit. Mais elle détaille aussi la noire saveur de l'amour non partagé et la paix qui peut surgir des désirs auxquels on a renoncé.

«À l'espère» se dit de la chasse dans les marais par ruse et non par force ou adresse. Quant à la relater, rien n'est beau comme une histoire d'été rédigée en hiver.