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Critiques de livres


Christophe CORTHOUTS
www.meutres.com
Lefrancq (Littérature)
1998
258 p.

Internet comme un coup de scalpel

Les amoureux transis de la princesse Leia, les admirateurs passionnés de l'âpre lutte du bouillant Solo et du jeune Skywalker contre les forces obscures de l'Empire Galactique et autres incondition­nels de la trilogie Star Wars de George Lucas connaissent sans doute Christophe Corthouts pour le plaisant ouvrage que fort sa­vamment il concocta sur les coulisses et autres à-côtés de ce mythe cinématogra­phique. D'autres auront peut-être lu déjà, du même, Virtual World, un thriller informa­tique, dans lequel sévissait un assassin bien réel, tapi dans le périlleux labyrinthe d'un parc d'attractions virtuel. Pour son nouveau roman tout frais, www.meutres.com, aban­donnant Roy Campbell et Seattle, l'auteur nous transporte aujourd'hui à San Francisco pour y assister au combat qu'y mène Sam Watson, un autre super flic branché, contre les abominables « sérial killers » qui lui en font voir de toutes les couleurs. Ainsi, d'en­trée de jeu, la traque et l'élimination de Saul Yates, dit Bâton Rouge, tournent quasi à la cata et amènent le « héros » à deux doigts du décrochage. Mais, tandis qu'il se tâte et dis­court avec un psychologue, une nymphe en tenue d'Eve, digne sous tous les angles d'en­luminer les pages du célèbre canard de Mis­ter Hugh Heffner (Playboy, pour ne pas le citer), est joliment découverte, hélas victime des symptômes de la rigidité cadavérique, sur le gazon du Golden Gâte Park. Agrafée sur la poitrine marmoréennement parfaite, une en­veloppe, nommément destinée au brillant enquêteur perturbé, contient ce message si­byllin : U2/1991/10. Cette année-là, le cé­lèbre groupe de The Edge et de Bono avait — bon sang, mais c'est bien sûr ! — enregistré le splendide album Achtung Baby, dont la dixième plage avait pour titre Ultraviolet. À l'autopsie, un projecteur va bientôt révéler, en haut d'une des cuisses fuselées de la vénusté refroidie, un tatouage, réalisé à l'encre invisible, révélant l'adresse du site internet servant de titre au roman qui nous occupe. Ainsi, l'assassin matois convie-t-il donc le sagace inspecteur à un pervers jeu de piste, qui ne fait ici que commencer. Instantanément piqué au vif, Sam Watson, oubliant tout atermoiement, se rue vaillamment, pour notre plus grand plaisir, à la poursuite effré­née du provocant criminel... Au vu de la façon peu commune dont dé­bute cette chasse au monstre, vous aurez compris que vous vous apprêtez à vous farcir un thriller qui ne ménagera guère votre pal­pitant. Tantôt vous frémirez comme avec du « gore » (— Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? l'in­terrompit froidement Sam. Merde... je... Ils lui ont coupé sept doigts, la langue, ils lui ont crevé les tympans et... et il est aveugle. Voilà.), tantôt la folle poursuite d'un pick-up sur les hauteurs de Frisco vous fera croire que vous assistez pantois à une des scènes les plus ébouriffantes de Bullitt ou de The Rock (les références cinématographiques sont en effet légion). De bout en bout de cette diabolique enquête, « comme la vie, l'informatique trouve toujours un chemin pour venir au grand jour » (et l'on ne manquera pas de vous préciser que cette phrase n'est pas de Me Luhan, dans Théorie et philosophie de la communication humaine, mais bien de Jeff Goldblum, dans Jurassic Park). Un livre à dévorer un soir où, comme tant d'autres, l'idiot-visuel n'œuvre qu'à l'affligeante crétinisation du peuple.

André Stas