pdl

Critiques de livres

Creusement sans fin
par Mélanie Godin
Le Carnet et les Instants n° 152

La collection «99» des éditions Estuaires réunit deux fois par an, en un coffret, les voix d'un poète luxembourgeois et d'un poète étranger. Mettant à l'honneur des textes inédits de grandes voix de la francophonie, le quatrième coffret contient un recueil du luxembourgeois Jean Portante, l'autre du poète belge Yves Namur dont le titre Un oiseau s'est posé sur tes lèvres sonne déjà comme un poème. Sa poésie est caractérisée par le doute permanent. Elle questionne inlassablement le réel et les éléments qui le constituent : les hommes, la matière, le langage, mais aussi le silence et le vide qui l'entourent. Dans des textes d'une grande sobriété, les interrogations perpétuelles montrent un poète qui progresse à tâtons, frôlant du bout des doigts les «feuilles» et les «plis» du réel. Tentative prudente de percer au plus profond l'être et sa réalité, le poème ouvre selon Yves Namur «un accès au réel que nous ne soupçonnons pas encore, ainsi que le font les physiciens. Les récentes découvertes dans ce domaine confirment qu'à chaque pas posé, nous approchons un peu plus d'une sorte d'absolu». Ce réel absolu, c'est ce qui est dans le visible mais qui nous échappe. C'est l'inaccessible. L'incertain. L'illisible. Le lointain mais qui, paradoxalement, nous cerne de toutes parts.

Ce baiser d'oiseau sur les lèvres de l'être aimé exprime la quête de l'auteur qui, par les mots, creuse un sillon à travers les forêts des hommes vers l'«Ouvert», pour déchirer le voile des songes et apprendre à reconnaître l'à peine visible. Cherchant à traverser le centre de Nulle Part pour s'approcher du «commencement des choses», il tente de saisir «ce qui se passe autour de nous» et «ce qui se cache dans le visible». L'espoir, c'est d'entendre l'inaudible chant de l'oiseau, cette «voix d'or» qui est la clé pour accéder à «la pointe de la montagne» où la lumière pure se déploie. Voix teintée d'une dimension spirituelle évidente, les symboles sont envisagés tels «des matériaux intégrés au poème». Laissant suffisamment de liberté aux lecteurs pour de multiples interprétations, ces signes sont des clés pour percevoir le murmure des choses. Grand lecteur (entre autres) de l'Argentin Roberto Juarroz, des Français Edmond Jabès et Philippe Jacottet, de l'Israélien Eliraz, Yves Namur dialogue avec eux à l'intérieur de son propre poème. À leur écoute, il progresse, toujours un peu plus, vers le chemin de «la rose sans trace», là où tout devient intelligible. Lorsqu'on pénètre dans l'univers poétique d'Yves Namur, il faut, comme le dit si bien Philippe Jones, marcher sur la pointe des pieds pour ne pas effaroucher les éléments en présence, car derrière les mots se cache un univers tremblant où tout peut être un signe et disparaître aussitôt. Fragile et périlleuse, cette quête est, par essence, infinie. Elle est aussi vitale pour le poète qui la poursuit.

1. Yves Namur, Revue Autre Sud, juin 2004, n° 25, p. 34.

Yves Namur, Un oiseau s'est posé sur tes lèvres, Jean Portante, Je veux dire, Éditions Estuaires, coll. 99, 2007