Philippe KOULIANOV
Rafistouli (Pratique de la soudure en amateur)
éd. Luc Pire
coll. Embarcadère
2002
182 p.
Faire la bombe
Benjamin Sax n'est pas doué pour la cuisine, ni pour la vaisselle. Aussi a-t-il pris l'habitude de commander ses pizzas par téléphone. Mais comme elles arrivent emballées dans du carton, cela ne fait que déplacer le problème et Benjamin est toujours en retard d'une tâche ménagère... Benjamin Sax n'est pas doué non plus pour organiser les fêtes, mais là, il peut faire appel à son copain Craig qui, lui, s'y connaît. Et elle sera fameuse cette fête car ce sera la dernière avant longtemps : Benjamin Sax a décidé d'obtenir son certificat B-1756 ! Lui que sa joyeuse bande de copains prend pour un rebelle parmi les rebelles va donc rentrer dans le rang...
Si cette décision était déjà difficile à prendre, elle n'était néanmoins que le premier pas d'un long parcours. Car, avant d'accéder à l'Indedic, il faut passer par la Commission d'enregistrement, c'est-à-dire introduire un gros dossier, se déplacer de nombreuses fois (la plupart du temps inutilement) et répondre au petit bonheur à des questions qui relèvent plus du procédé vexatoire que du jugement de compétence. Heureusement qu'il y a la corruption. Quant à l'Indedic, c'est une forme de caserne, en pire. Benjamin s'y voit attribuer, au milieu du long couloir de l'aile U, une chambre dans laquelle il pourra lire le dictionnaire réglementaire. Et pas question de faire la sieste : les chambres sont régulièrement fouillées et une cote est donnée sur la propreté des draps qui, tout aussi régulièrement, sont confisqués (heureusement qu'il y a le marché noir). Les cours sont, bien entendu, assommants et il convient, au préalable, de découvrir à quelle heure et dans quel local ils seront donnés. Cerise sur le gâteau et orgueil de l'établissement : le circuit fermé de télévision. Dans chaque chambre, un écran s'allume, sans crier gare, pour imposer aux étudiants des programmes variés mais toujours pontifiants. Evidemment, à l'Indedic, les profs savent tout mieux que tout le monde, les secrétaires sont à cheval sur un règlement que personne ne peut consulter et chaque bibliothèque possède son classement particulier. Difficile à vivre ! Et l'amour de Lydie n'effacera pas l'insupportable ennui. Benjamin Sax qui, jusqu'ici, tenait plus du fêtard indifférent que du rebelle avéré, va se muer en sombre révolté... Philippe Koulianov a dû bien s'amuser en écrivant ce premier roman ; il a d'ailleurs truffé son texte de clins d'œil qui en appellent à la complicité du lecteur et rendent son livre attachant. D'autant plus que, bien en accord avec son sujet, il déploie une écriture peu conventionnelle qui, tout en restant grammaticalement correcte, détourne régulièrement la syntaxe pour lui donner une forme ébouriffante. Mais il pèche un peu par facilité et, tout à son joyeux entrain, néglige de donner une épaisseur psychologique à ses personnages ou un rendu de l'atmosphère (elle devrait être oppressante) de la société dans laquelle Benjamin Sax et ses copains se débattent. Comment dit-on dans ces cas-là ? Un auteur à surveiller...
Jack Keguenne