Anne-Michèle HAMESSE
Natale
Lausanne et Dour
Luce Wilquin
1994
176 p.
Quand le roman se fait conte
Décidément, l'éditrice Luce Wilquin se constitue, petit à petit, un catalogue de titres qui ne manque pas d'intérêt1. L'aventure en vaut donc la peine et aventure il y a, lorsqu'on édite un premier roman. Celui d'Anne-Michèle Hamesse, Natale, est une œuvre sans prétention déplacée, loin des modes littéraires et des effets de style. On essayera bien, de prime abord, de nous convaincre que l'auteur a de qui tenir, étant la fille de l'écrivain Pierre-Paul Hamesse, mais qui s'en souciera, hormis quelques avertis ? En revanche, lorsque l'on sait que cette Bruxelloise est peintre, on ne s'étonnera pas que son livre s'articule autour d'un tableau d'Anto Carte. Natale est son titre et il imprime sa tonalité au roman. Dès les premières pages, on découvre un univers intime, chaud et tendre, mariant avec délicatesse une douceur naïve à une sensibilité intense. Nous sommes à la veille des fêtes de Noël et Blanche, sur le point d'accoucher, écrit un roman, trompant ainsi son attente solitaire tandis que Pierre est en voyage. Conrad, lui, traîne ses désillusions dans le supermarché où il travaille pendant que Juliette cherche à fuir ses désirs dans les livres. Tous ces personnages vont s'entrecroiser, parfois subrepticement. Comment savoir si ceux-ci ne sont pas seulement les créations de la romancière Blanche, ses « parcelles de tendresse humaine » ? La fiction engendre sa propre fiction, comme la mère porte son enfant, et les plans narratifs s'entrecoupent jusqu'à se recouvrir. Cette structure gigogne, qui ménage des surprises, ne cache pas la richesse thématique du roman mais au contraire la renforce. La littérature offrirait-elle le dernier espace de liberté où tout est possible ? La vie ne serait-elle que le lieu du hasard où « parfois laiss[e]-t-on passer, qui sait, le bonheur de toute une vie » ?
Autour d'un axe dramatique fort, une prise d'otage, et un contexte émotionnel tout aussi vif, l'accouchement de Blanche, ce roman brasse les rencontres, les pertes, la joie et l'amertume, la sagesse et la fougue avec, toujours, un regard empreint de douceur. Mais celui-ci sied-il à toutes les situations sans verser dans l'invraisemblance (ce qui n'est qu'un moindre mal), voire dans l'affectation (ce qui est plus gênant) ? L'écueil n'est parfois évité que de justesse. C'est que, tout compte fait, Natale n'est pas seulement une histoire d'amour, un récit d'aventure ou une confession féminine, mais aussi un conte de Noël, et à ce titre la tendresse, si peu avouable communément et si fantasmatique qu'elle soit, y a sa place.
Dominique Crahay