Luc BABA
Les écrivains n'existent pas
Avin
Ed. Luce Wilquin
coll. Luciole
2005
132 p.
Les écrivains n'existent pas
Drôle de titre dans une revue qui assure la promotion des lettres belges ! Ce n'est pas une boutade, ni de la provocation et encore moins une révélation, mais tout simplement le titre du dernier roman de Luc Baba. Logique, son héros est écrivain, il vit à Liège avec Martine et a le sentiment de ne pas vraiment exister. C'est cette sensation floue, cette absence au réel qui va faire le roman. Paradoxe : Luc Baba a un réel talent pour nous faire partager les images et les sensations qui traversent son héros au fil du roman, même si celui-ci semble connaître le degré zéro de l'existence... L'histoire commence rue Chauve-Souris, une rue en escalier, à Liège. Un jour de déluge, Monsieur Bree, un voisin âgé, glisse sur les marches usées. Sa tête percute la pierre luisante et son corps roule au pied de l'écrivain qui dépose son manteau sur lui. Ce geste ne sert à rien, Monsieur Bree est mort. Lorsque le narrateur redépose son manteau sur ses propres épaules, il sent l'infiniment triste, la grisaille et la mort l'assaillir, pénétrer sa peau. C'est la première fois qu'il rencontre la mort, qu'il la touche. A trente ans et des poussières. Il n'en sort pas indemne même si, de ce vieux voisin qu'il croisait de temps en temps, il connaît très peu de choses hormis ses trois chatons blancs, sa fatigue de la vie, son habitude des voyages, son goût pour la trappiste, peut-être. La vie avec Martine paraît bien terne et terre-à-terre, soudain. Martine, « chaque matin, elle se lève d'un bond, bâcle un salut au soleil hérité d'un oncle yogi, puis elle presse une orange » : voilà qui semble fort prosaïque à un homme qui a peur. Qui voit dans les pensées de l'hiver qu'il écrira bientôt ailleurs. Qui sent que l'histoire avec cette femme se termine sans doute. Les gens, la famille lui reprochent en silence de vivre à ses crochets. Elle s'excuse presque, elle aime son boulot, la production de concerts, du moment que, lui, il écrit. C'est important pour elle, l'écriture, son écriture. C'est difficile pour lui d'écrire, même s'il s'est inventé plein de rituels et de secrets. Il lui faut bien assumer les remarques assassines de son père, avec qui il a rompu tout lien : « Les écrivains ! Ils s'en fichent des hommes. Ce sont des voleurs d'âmes. La vie des malheureux, ça leur plaît, ils en font des petits tas de mots et ils sont très contents, c'est tout. » Un écrivain malheureux fait donc des petits tas de mots sur son propre malheur, son incapacité à vivre, à s'engager, à être heureux. C'est un peu ce que l'on pourrait croire lorsque le narrateur nous entraîne à Ostende dans une étrange échappée, une fuite qui débouche sur un amour aussi improbable que le quotidien avec Martine.
Voilà pour la trame du récit, mais sa force tient surtout dans le tissu de descriptions justes et poétiques de la réalité que traverse cet homme, qui supporte pourtant si mal le réel. Le petit hôtel glauque d'Ostende, la rue Chauve-Souris, la rencontre avec Maud, avec Nora, les couloirs de la Gare centrale à Bruxelles, comme les sensations troubles face à la mort, à l'amour, à la vie : autant de climats et de sentiments qui impliquent le lecteur.
Nicole Widart