Philippe BLASBAND
Johnny Bruxelles
Grasset
2005
375 p.
L'homme-ville
Comment Joris Van Brussel, garçon somme toute ordinaire, est-il devenu Johnny Bruxelles, cet homme au fait de tous les détails de la vie officielle et officieuse de la grande ville, ce parleur intarissable qui hante les bistrots et côtoie les plus grands ? Détective hors catégorie disposant d'informateurs inattendus dont il recueille les propos en de savantes équipées nocturnes, il décrypte les manœuvres et arrache les confidences de son air bon enfant. Au point d'aiguiser les convoitises et de faire l'objet d'une enquête très rapprochée de la redoutable commission Kabouter. Et lorsque les menaces se font de plus en plus pressantes, il ne les écoute que distraitement. Car c'est bien de la mort de Johnny Bruxelles qu'il faut parler et de l'enquête sur l'enquête menée par le narrateur qui retrace l'histoire d'une amitié, nous livrant par la même occasion des faits insolites, des portraits qui croisent légende et réalité. D'abord sur les bancs de l'Athénée d'Ixelles, puis ça et là avant des retrouvailles inattendues au cours desquels le copain perdu de vue demande à être hébergé quelques jours qui s'éternisent. Johnny a la démesure jubilatoire d'un héros rabelaisien : un appétit redoutable, un goût immodéré pour les bonnes choses, un sens avéré du combat épique, le plaisir non contenu de jongler avec les mots et de tarauder les limites de la fable. Tout en nous emmenant dans de sombres affaires de philatélie, à la recherche d'un timbre rare répondant au doux nom d'Albert décapité, en nous initiant à l'art de la boxe, en nous découvrant les recoins d'une synagogue et en démêlant les ficelles douteuses des campagnes électorales. Le récit zigzague jusqu'au tournis, des arrière-salles de café jusqu'au Sénat, tandis que les hypothèses les plus structurées s'annulent puis rebondissent.
Charivari verbal et narratif aux limites de la logorrhée, voici un texte où les personnages réels — vous y trouverez sûrement des connaissances — et imaginaires se croisent, les noms de rue défilent, nous entraînant dans le dédale des anecdotes qui tiennent à la fois de l'encyclopédie et du bon mot. Et si tout ceci n'était, somme toute, qu'un prétexte pour parler de Bruxelles, de cette ville défigurée par les promoteurs et grignotée par la magouille où se faufilent encore le plaisir de vivre, la passion des combats ? Une ville qui a fait une force de ses faiblesses, où se croisent et se mêlent les cultures et les langues, où le rire finit par fuser tant la dérision est forte, où le français, aux portes du nord, se déploie en un dernier festival savoureux.
Thierry Détienne