Catherine ROEGIERS
Cancerto
Le Hêtre pourpre
2001
210 p.
La vie qui gagne
Débarrassons-nous tout de suite du bât qui blesse : la couverture, son quatrième, la présentation de la romancière..., bref tout ce qui n'est pas le texte mais ce qui l'entoure, qui devrait le servir, ici le dessert. Pourquoi ce vieux rosé, ce logo ringard, ces phrases amateures pour dire le livre et son auteure ? On est trompé sur la marchandise, le produit (pour le dire commercialement — vulgairement). Les livres des éditions Le Hêtre pourpre sont bien plus modernes, plus forts, plus originaux que ce qu'ils donnent à croire, à voir en premier coup d'œil. (On s'était déjà dit la même chose avec le très beau Après vous d'Eva Kavian.)
A cause de leurs apparences, les livres perdent des lecteurs : les critiques ne les ouvrent pas, les libraires les jugent invendables. Dommage, vraiment dommage. Car qui saura alors que le roman de Catherine Roegiers possède les très belles couleurs automnales de la littérature anglaise féminine, celle des écrivaines comme Barbara Pym, Ani.ta Brookner, Elisabeth Taylor..., celle qui donne toute son attention aux vies de femmes ordinaires. Résignées. De ces femmes comme on en connaît toutes et tous. A qui l'on ne s'attacherait pas dans la vie (on les apercevrait à peine), à qui on s'attache tout au fil de la lecture. Qu'on est triste de quitter quand on referme le roman. Dans Cancerto (cancerto, oui, à cause de la forme musicale — roman qui s'attache à quelques personnages qu'on écoute l'un après l'autre, les uns parfois avec les autres, avec en soliste, Hélène, une femme atteinte d'un cancer du sein, cancerto, donc, aussi à cause de la maladie), une chance est donnée à ces femmes qui vivent dans l'ombre (d'un époux, entre autres). Hélène aura la chance de rencontrer, dans une chambre d'hôpital où elle a subi une chimiothérapie, une femme qui a décidé de vivre malgré tout (malgré un cancer, irréversible celui-là). Et qui avant de mourir lui transmettra cette force de vie nécessaire pour sortir du gris, vivre ses rêves au lieu de les avorter, les regretter. Elle se mettra à danser, à aimer son mari et surtout : elle-même. Rien ne serait possible sans que l'homme change lui aussi. Ce qui arrivera au travers d'une autre (belle) rencontre, celle d'une vielle dame, Rosé (comme la fleur, et d'ailleurs c'est ce qu'elle vend, des fleurs) atteinte, elle aussi, d'un cancer.
Tout cela pourrait paraître morbide, pas du tout. On est du côté de la vie. De la littérature qui transcende la vie. Qui l'écoute. Lui donne une chance. Sans béatitude idiote, ni positivisme béat. Juste que ces femmes qui vont mourir ont compris l'essentiel : la valeur des choses et de l'amour. Et qu'elles le transmettent. Et que Catherine Roegiers qui a dû (pu) entendre ces paroles de femmes dans son métier d'infirmière qu'elle pratique depuis vingt-cinq ans a trouvé les mots, les phrases justes pour en écrire un roman, ce genre littéraire qui peut, quand il est réussi, nous en dire tant sur la vie. A nous lecteurs d'en faire bon usage.
Michel Zumkir