Eva VISNYEI
Ça y est j'y suis !
Climats
1999
120 p.
Le cul qui rend l'âme
Ça y est j'y suis ! dit le titre de ce premier roman d'Eva Visnyei, scénariste, peintre, dessinatrice de dessins animés et auteure de théâtre. J'y suis où ? de nous demander. Ou plutôt, j'ai réussi quoi ? A être une femme sûrement. A être deux avec l'autre, en laissant en chemin l'utopie de l'un, sûrement aussi. Peut-être à d'autres choses encore, qui sait ? Pour y arriver, cela n'a pas été simple. Il a fallu tout chambouler, jusqu'au langage. Avec de la douleur, du sexe, de la déjection, du phantasme, beaucoup d'alcool, des rêves... Et de la littérature. A lire. Puis à écrire. « J'ai commencé par balancer mes livres. Ça a volé ! Je te jure. J'ai tout vendu. Sartre et consorts et toute la bourgeoisie ! Au plus bas prix. (...) C'est la boulimie de comprendre qui m'a sauvée. J'ai fini par sortir. J'ai racheté des livres. Rien que du brut, sans reliure, genre où tu découvres que tu n'es pas toute seule à dégueuler. » Aurait-elle découvert Virginie Despentes et son célèbre Baise-moi ? Non, trop trash tout de même, trop désespérée, sans rédemption. Car la locutrice (celle qui écrit comme elle parle, celle qui s'adresse à un « tu » le plus souvent imaginaire) cherche à s'en sortir. Toute seule : elle mène le bal des hommes, des femmes et de l'imaginaire. Ainsi pour découvrir la femme animale qui est en elle, celle qui vomit-pisse-chie, celle qui est au plus près de ses trous, l'homme n'est pas avec elle. Il dort dans la pièce d'à côté. Avant cette ultime étape (qui ouvre le livre), il y avait tout ce dont elle devait se débarrasser, toutes ces histoires avec les mecs, tous les nœuds à dénouer, la manière bourgeoise de vivre l'amour. Et commencer par fuir le clan des mères, qui pondent, astiquent, qui font la poussière au lieu de l'amour. Fuir aussi l'autre camp, celui des divas jouisseuses, celles qui sont « au-delà de la femme ». Fuir la femme au ventre fertile et fuir la femme au sexe baiseur. Dans le travail tout d'abord, à l'usine, façon militante soixante-huitarde. Pour pas longtemps. Pas née pour ça. Fuir dans les histoires d'amour qu'elle s'invente la plupart du temps. Avec des mots trop lisses. Qui s'avancent en cachant les fêlures. Le plus menteur d'entre ces mots : « Un ». « Un » à la place de « deux ». Unité illusoire pour laquelle on se bat, contre laquelle on s'écorche. Beaucoup y restent. Pas le « je » du livre. Qui finit par être un « moi » avec un homme. Qui est « un » aussi, par conséquent.
Pour se (re)trouver, fallait-il en passer par là ? Une certaine tradition littéraire et théâtrale pense que oui. Ce livre aussi, donc. On respecte la démarche, même si on se dit qu'elle ressortit à un certain romantisme de la douleur, de la déchirure, du sexe noir. Et que les derniers livres de la philosophe Luce Irigaray pourraient aider à atteindre le même résultat, avec sérénité.
Michel Zumkir