Lydia FLEM
Panique
Le Seuil
coll. La librairie du XXIe siècle
2005
125 p.
Vingt-quatre heures de la vie d'une femme paniquée
Après le succès de Comment j'ai vidé le grenier de mes parents, Lydia Flem continue d'explorer, de sa belle écriture, l'âme humaine (comme elle le disait de Freud). Si dans son livre précédent, elle utilisait le mode du récit autobiographique, dans Panique, elle investit la forme romanesque. Plus les années passent, plus elle travaille la matière intime, plus elle inverse le rapport qu'elle avait institué entre le genre essayistique et la littérature : au départ elle écrivait des essais nourri de littérature (L'homme Freud pourrait être le modèle de cette période), aujourd'hui elle est franchement dans la sphère littéraire, ce qui n'exclut pas quelques passages théoriques (sur la peinture, dans cet opus). Autant dire que ses textes continuent à être pertinemment hétéroclites. Panique, c'est le récit minuté de la journée d'une historienne de l'art (la narratrice) qui doit, le lendemain, se rendre à New York pour une conférence et qui se souvient de sa première crise d'anxiété, dans le Musée d'Art moderne de la ville américaine (MoMA), devant Les demoiselles d'Avignon de Pablo Picasso. Le roman est divisé en deux. Dans la première partie, la narratrice est saisie d'angoisse à un feu rouge (en clin d'œil, la couleur de la jaquette qui recouvre le livre). Dans la seconde, la peur exacerbée de prendre l'avion occupe la plus grande place (et la question : comment repousser cette peur ? En relisant les notes de sa conférence, sur des tableaux de Denyse Willem — notes qui nous sont données à lire aussi. On est ainsi dans la même distraction que la narratrice). Dans les deux sections, la narratrice se bat contre ces phobies qui touchent au moins cinq pourcents de la population mais que, scientifiquement, l'on connaît encore très mal. Son combat n'est pas seulement mené contre ce qui l'envahit, la dépossède d'elle-même, il est aussi contre le temps, un temps qui, à l'horloge, poursuit son défilé régulier, imperturbable mais dont la perception est totalement déformée (ce roman, comme nombres de romans, est aussi une réflexion sur le temps vécu, ressenti, sur le temps romanesque). Entre les deux parties, au centre de l'ouvrage, quelques pages sur la relation mère-fille, une relation ravageuse qui serait peut-être à l'origine des phobies de la narratrice. Mais il ne faudrait pas croire que Lydia Flem se perde en explications psychologiques, psychanalytiques, non, le beau pari qu'elle a lancé est tout autre : tenter de dire l'innommable, l'état dans lequel l'être est mis quand le sens commun est perdu. Et elle y réussit admirablement. Non pas par des formules définitives mais par de petites avancées, par touches. L'écriture de Lydia Flem n'enferme pas, ne prend pas des vessies pour des lanternes : l'innommable reste innommable. La littérature peut aider à l'approcher, là où peut-être la science échoue.
Michel Zumkir