Bruno DEMOULIN et Jean-Louis KUPPER (dir.)
Histoire de la Wallonie. De la préhistoire au XXIe siècle
Toulouse
Privât
coll. Histoire des territoires de France et d'Europe
2004
431 p.
Défense et illustration de la Wallonie
En 1973, les Editions Privât publiaient une Histoire de la Wallonie dans leur collection « Univers de la France et des pays francophones ». Le maître d'œuvre de cet ouvrage collectif était Léopold Genicot, Wallon convaincu et médiéviste réputé de l'université de Louvain, qui voulait ainsi « rendre et faire rendre chez nous et ailleurs justice à notre terre ». Depuis, bien de l'eau a coulé sous les ponts de l'Escaut, de la Sambre et de la Meuse, et la Belgique unitaire, sous les coups de boutoir d'une Flandre aspirant de plus en plus à l'autonomie, est en passe de devenir un lointain souvenir.
C'est dire si le travail édité en octobre dernier par la même maison et conçu sous la direction de Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper, tous deux professeurs à l'université de Liège, vient à son heure. Le titre reste certes le même, mais cette nouvelle Histoire de la Wallonie est refondue de fond en comble, grâce aux contributions d'une équipe pluridisciplinaire où se sont côtoyés les meilleurs spécialistes des institutions universitaires et hautes écoles francophones du pays. Historiens, historiens de l'art, romanistes et géographes ont manifestement eu à cœur de retracer, de la préhistoire au XXIe siècle, le passé d'une région de confins, située à l'intersection de la romanité et de la germanité, qui a toujours su puiser dans ces deux grandes aires culturelles la substance même de son génie propre. Wallonie, terre d'accueil ? La réputation n'est pas surfaite. Dès l'époque néolithique, et tout au long des siècles qui ont façonné sa longue histoire, cette contrée au climat tempéré et aux sols généreux — notamment en limon, eau, pierre et houille — a vu se croiser quantité de populations et s'est enrichie des apports successifs que les flux migratoires et les échanges économiques ont déposés chez elle. Jusqu'à ce que la première révolution industrielle en fit, immédiatement après l'Angleterre mais bien avant d'autres nations européennes, un des terroirs les plus prospères de la planète. Le livre ne néglige aucun des aspects de ce carrefour d'influences qu'a toujours été la région wallonne, dont la position est enviable dans le nord-ouest de l'Europe, sans pour autant céder à une tentation hagiographique ou à un déterminisme inavoué, lesquels n'ont évidemment pas leur place dans une démarche scientifique. Bien mieux, à côté d'un strict découpage chronologique de l'évolution politique et socio-économique, une part belle est faite à la géographie, cette grande faiseuse de clarté en histoire, ainsi qu'à l'art, trop souvent négligé par les disciples de Clio. Et le tout est agrémenté de cartes et d'illustrations, dont plusieurs en couleur : c'est là un hors-texte qui ne fait qu'ajouter au plaisir de la lecture et que complètent, dans les dernières pages, une chronologie, une bibliographie, un index des noms et un second consacré aux lieux. Voilà donc une « somme » particulièrement avenante et utile, surtout au moment où la Wallonie est confrontée à de nouveaux défis. Frappée de plein fouet depuis trois décennies par la crise de l'industrie lourde, elle commence à peine de sortir d'un certain passéisme, voire d'une léthargie que symbolise à sa façon la chanson Leyîz-m'plorer (« Laissez-moi pleurer »). C'est du moins le point de vue défendu dans leur conclusion, non sans raison d'ailleurs, par les deux principaux concepteurs de l'ouvrage : « Les indicateurs économiques diagnostiquent une amélioration générale, encore que cette prospérité renaissante demeure fragile. [...] L'image, positive, du pays wallon se reconstruit progressivement : qu'il s'agisse de son dynamisme, de la grandeur de son patrimoine architectural ancien ou récent, de sa vie culturelle, artistique et sportive, de ses paysages magnifiques, ou simplement de sa chaleur humain. » Et, dernière salve d'optimisme : « Sur ce très vieux terroir, remarquable, depuis la préhistoire, par sa diversité et sa complexité, le poids d'un passé étonnamment riche donne la volonté d'agir, stimule le renouveau, soutient la "conversion ", fait revivre l'espoir. » Puissent-ils être entendus ! Car l'étude du passé, cela sert aussi à forger une identité et à rendre possible l'avenir...
Henri Deleersnijder