Irène STECYK
La fille de Pierre
Édition La Renaissance du Livre
2001
250 p.
Du choc amoureux à la conquête du pouvoir
Voici longtemps, comme elle le confie dans l'avant-propos de son dernier roman, La fille de Pierre, Irène Stecyk s'est enflammée pour une histoire d'amour : celle qui unit, au XVIIIe siècle, la princesse impériale Elisabeth Pétrovna, fille de Pierre le Grand, appelée à devenir un jour tsarine, et Alexis Rozoum, un cosaque venu d'Ukraine pour être choriste de la chapelle palatine, qui porterait plus tard, époux morganatique de sa souveraine, le titre de feld-maréchal. Face à face, en cette année 1733, et dès le premier instant éblouis l'un par l'autre : une princesse de vingt-cinq ans, apparemment choyée à la cour de Saint-Pétersbourg, en réalité constamment surveillée, épiée, brimée par l'impératrice Anna Ivanovna (Anna Ire), sa cousine, qui l'a spoliée du trône qui lui revenait de droit, mais voit — et hait — en elle une éternelle rivale dont nombre de militaires, fidèles à Pierre le Grand, ont épousé la cause ; un chantre que sa voix magnifique et envoûtante (On eût dit que c'était la profondeur même de la piété russe qui montait avec son chant. Ce n'était pas un chanteur, c'était l'âme de la musique) a conduit de ses campagnes lointaines à la cour.
Alors que tout devrait les opposer, à commencer par leur naissance — lui dans une chaumière du village de Lémiochy, elle dans un palais de Moscou — ils vont partager une révélation bouleversante : communier dans la musique avant de communier dans l'amour. Puis une aventure non moins exaltante : la conquête du pouvoir. Avouons-le : on ne se passionne pas d'emblée pour ces personnages, d'autant que l'auteur met des soins infinis à se glisser dans leurs pensées, à ciseler leurs sentiments. L'histoire piétine, l'intérêt languit sous une profusion de détails anodins, et l'on en vient à douter que le feu prenne, sur ce patient, scrupuleux amoncellement de branches et de rameaux. Mais il prend ! Et même pétille lorsqu'Irène Stecyk, avec une verve incisive, raconte un dîner officiel et le duel que s'y livrent, sous les grâces d'une conversation courtoise, l'impératrice Anna Ivanovna et la tsarevna Elisabeth, se soupçonnant chacune d'ourdir des complots contre l'autre. Moins inspirés par les scènes passionnées, qui n'évitent pas les clichés des romans feuilletons, Irène Stecyk met en revanche beaucoup de force, d'alacrité et d'esprit à brosser une fresque historique précise et vivante, des alliances politiques qui se nouent et se dénouent à travers l'Europe aux champs de bataille de Crimée, sur les traces de Danilo, frère aîné d'Alexis, chevauchant son alezan rouge et se colletant avec les Tartares... Petit à petit, on s'attache à Elisabeth Pétrovna, à la fois orgueilleuse et craintive, tentée et terrifiée par cette couronne qu'elle aurait dû recevoir en héritage mais que par trois fois on lui a refusée. A la mort d'Anna Ivanovna en 1740, son heure sonnerait-elle ? Non : l'impératrice avait pris soin de verrouiller l'avenir, mariant sa nièce falote, Anne Léopoldovna, au prince de Brunswick, et, quand naît un petit garçon, le choisissant comme successeur, tout en nommant son amant Ernest de Biron régent de toutes les Russies jusqu'à la majorité de l'enfant tsar.
Coup de théâtre : la chute du tout-puissant Biron semble assurer le triomphe d'Anna Léopoldovna, désormais grande-duchesse et régente de l'Empire.
Sa victoire sera brève : la nuit du 24 au 25 novembre 1741, dans Saint-Pétersbourg blanche de neige, un coup d'état, secrètement soutenu par la France, place Elisabeth sur le trône.
C'est là qu'Irène Stecyk prend congé de son héroïne, qui a enfin cessé d'hésiter à s'emparer du pouvoir ; à affronter le grand destin que ses partisans promettaient à la fille de Pierre...
D'Une petite femme aux yeux bleus, qui faisait revivre la marquise de Brinvilliers, à Mazeppa, prince d'Ukraine, et surtout à La Balzac, selon moi son plus beau livre (au titre près, quasiment imposé par un éditeur en mal d'effets douteux), Irène Stecyk a su circonscrire, cultiver son champ littéraire, affirmer sa spécificité : l'alliance de l'Histoire et de la fiction, d'une étude solidement documentée et de l'imagination romanesque. « Je tente d'exprimer l'intériorité d'un personnage qui a existé, me disait-elle voici quelques années. Il ne s'agit pas de biographies romancées mais de romans à base historique. »
Dommage que, dans ce livre-ci, les broderies sentimentales surchargent la trame véridique et que le roman tourne parfois à la romance....
Francine Ghysen