Dominique Rolin
Le jardin d'agrément
Gallimard
Mémoire de nuit
A quoi rêvent les jeunes filles ? Pour les artistes — « des introvertis qui frisent la névrose », comme on vous le dit — on sait depuis Freud et son Introduction à la psychanalyse de quoi sont faits leurs songes : ils ambitionnent de conquérir « honneurs, puissance, richesse, gloire et amour des femmes ». (L'époque de Freud était sexiste, on s'en souvient.) Dominique Rolin nous livre sa version des faits dans deux livres qui paraissent simultanément, récits de rêves, écrits de songes. Le premier, Le jardin d'agrément, est un roman. Autobiographique ? Spéculaire ? L'auteur, qui met en scène sa vie actuelle et sa relation amoureuse avec un certain Jim, écrivain célèbre, compagnon solaire et secret, y part à la rencontre de la jeune femme qu'elle fut, à l'orée de son âge adulte : désireuse d'écrire, perdue, trouvant la force d'ériger, sur les ruines de son être, les premiers volumes de son œuvre littéraire, coupant le cordon qui l'attachait à sa Belgique ombilicale pour accoucher d'elle-même, écrivain. Entre les deux femmes, un dialogue se noue, narcissique, amoureux. Laquelle donnera sa force à l'autre ? Le second est un Train de rêves : une succession de courts récits où la romancière a transcrit à son réveil ses rêves de la nuit. Et qu'il soit souvent question de trains dans cette onirologie personnelle, de ceux qu'on attend, qu'on a peur de manquer, ajoute à la polysémie du titre.
Couvrant sept années, du 12 mai 1985 au 23 septembre 92, ce recueil de transcriptions, sans doute une sélection parmi beaucoup d'autres, présente au moins un thème récurrent, lié à la peur et à la honte. L'univers — luxe, volupté, bienséance de l'ordre bourgeois — se dégrade et menace dans son intimité même, c'est-à-dire jusqu'aux portes des cabinets où elle cherche à se réfugier, celle qui se rêve et qui a beau protester de sa respectabilité (alléguant, par exemple, sa nomination à l'Académie royale ou adoptant avec ses interlocuteurs « le ton légèrement précieux de quelqu'un qui se prend pour quelqu'un ») : seul le réveil la sauvera de l'infamie.
Héros de la vie privée ou personnalité connues (le pape, Lady Diana, « le chanteur noir Michaël Jackson », célébrités pour lesquelles Rolin semble avoir des yeux de midinette) peuplent ces récits nocturnes voués, par leur statut même, à l'étrange et aux métamorphoses. Voudra-t-on les interpréter, à la façon du Docteur Freud ? Etudier comment ils ont nourri l'œuvre romanesque (un rêve sur Vanessa Paradis, par exemple, est intégré dans Le jardin d'agrément) ? Jeter des ponts entre autobiographie et fiction ? Tout est possible, puisque l'auteur a fait du jeu même des miroirs la substance de son œuvre. Tout est permis, puisque Rolin est artiste et que l'amour dicte sa loi : à travers le temps, d'un jeune rêve à l'autre, en parfait et lucide travail d'inconscience.
Carmelo Virone
Dominique Rolin, Train de rêves, Gallimard, L'infini, 1994, 125 p.