Lucien Noullez
Penouël
L'Age d'Homme
1993
86 p.
La foi de l'ours est une danse
Soyez sympa, ne m'interrogez pas sur le titre : il m'est venu comme ça, en lisant Penouëi. Je dormais depuis des mois, et ce livre d'un seul coup m'a réveillé. Comme si un ange dans la rue m'avait bousculé. Un ange ou un ours. D'entrée de jeu, le poète annonce la couleur, avec un aplomb que la foi seule peut donner, se déclarant tout net poète chrétien, / (...) poète navré devant la porte étroite/ Et qui cherche à chanter /Les musiques du Verbe. Le verbe avec un grand V, celui qui s'est fait chair, Jésus-Dieu, pardon, ce n'est pas rien. Attention : danger, pense-t-on, le terrain est miné, où la littérature saint-sulpicienne a fleuri. Et puis, n'est pas Claudel qui veut, ni Péguy, ni La Tour du Pin, et l'on se rappelle ce pauvre Jammes qui boitait si délicieusement avant sa conversion et qui, redressé à l'eau bénite, s'est mis à rimailler comme un bon curé de campagne. Eh bien, on a tout faux. Lucien Noullez échappe à tout ça et ne se retourne pas. Il chante, il danse en regardant le ciel, la croix, le monde autour de lui, et c'est merveille.
Maintenant qu'il a combattu avec l'ange et qu'il a été vaincu, il connaît son chemin, sa force et sa faiblesse. La peur l'a quitté, le vilain amour-propre, il peut désormais louer Dieu sans rougir à la face des hommes et retourne(r) au combat de la vie avec la paix fragile pour armure.
Cette assurance et cette fragilité ont forgé le souffle et le ton singuliers du poète, elles ont donné à son vers tout le rythme et la souplesse qu'il exigeait. La joie a fait le reste, ouvrant des fenêtres jusque dans les coins les plus obscurs. Que nous croyions ou pas, nous sommes entraînés malgré nous dans la danse.
Rions tout bas, rions dans la cité, rions.
Les apôtres ont cueilli le blé, rions des saintes
à genoux. Maman me fredonnait des passages de Bible
en tricotant.
Rions, car les voitures sont des orgues basses. On voit errer les âmes sur le trottoir crevé Du ciel, rions encore : les aromates sur tes
plaies, Les coups de klaxons sur ton nom, la ville
aussi
A ses travaux, les maisons bougent peu à peu. Rions, mon frère de silence : un peu de pâleur Dans l'obscur, un rien de neige sur le feu
Inutile de multiplier les exemples : tout le recueil est de cette trempe. Ample ou court, le poème ici ne perd jamais son pouvoir de séduction, ni son allégresse. La langue y est simple, ferme, pleine d'images renouvelées, d'ellipses bondissantes.
Avec Douze fusils, nous suivons le Christ au désert, nous pénétrons à l'intérieur de l'homme en proie aux tentations, nous rejoignons le cœur de la condition humaine. Douze petits textes, et qui claquent comme un coup de fusil, et qui nous touchent, quel que nous soyons, comme les cris au matin de Pâques dans le verger d'enfance. La foi de l'ours est une danse.
Guy GOFFETTE
Lucien Noullez, Douze fusils, Tétras Lyre, 1992