Rose-Marie FRANÇOIS
Répéter sa mort
Bruxelles
Le Cormier
1998
Patience du poème
Traductrice plurilingue, critique, conférencière, insatiable voyageuse, Rose-Marie François est surtout une poète rare qui, dans son œuvre peu abondante, a réussi à éviter aussi bien la dispersion que la répétition. Depuis son premier recueil daté de 1971, loin des écueils de la poésie dite féminine, elle poursuit un chemin original et sans complaisance. Comme le remarque Christine Pagnoulle dans sa postface à Carte d'embarquement (Le Cri, 1996), Rose-Marie François est davantage l'instrument que l'auteur de ses poèmes. C'est peut-être pourquoi dans ces textes, le Je se tient en retrait, à sa place exacte de distance ; s'il est convoqué de loin en loin, c'est en tant que témoin de la violence des mots. La poète n'écrit-elle pas « Je suis une poignée de cendre / un poing de lave / le coin plié d'un agenda. »
Ecrit en 1988, publié dix ans plus tard dans sa forme « approuvée » par Edmond Jabès qui en avait aimé le manuscrit, Répéter sa mort, que les internautes avaient découvert dès 1996 aux Editions Mot@Mot (http:// engdep 1 .philo.ulg.ac.be/MotAMot/), se présente d'emblée comme un poème en prose, chroniquant un espace et une histoire imaginaires.
Rose-Marie FRANÇOIS
Fresque lunaire
Montréal
Editions du Noroît
2000
44 p.
Quatre parties distinctes constituent autant d'étapes d'un voyage (Lumière de Courlande, Terre de Hainaut, Histoire d'Europe et Rosé feu) dont la beauté, tour à tour savante, visionnaire et sereine, n'essouffle pas l'angoissante trame. Le lecteur comprend peu à peu que ces lieux sont aussi des lieux de mémoire, perdus / retrouvés à rebours comme peut l'être le passé. En filigrane de ce livre dense et concis, intelligent sans trace d'intellectualisme, se lisent les thèmes chers à l'auteur : la mort au seuil de la vie, la barbarie de la guerre, la maison de l'enfance, l'épine de rose de l'absence. Plutôt que de nostalgie, on parlera d'« union au passé » à propos de cette voix qui constate que « sur les faïences de série, on n'entend plus bleuir le temps ». Que l'évocation de ce possible passé use d'abord des modes infinitif et subjonctif n'est pas gratuit. A la narration de l'intraduisible, l'auteur préfère le questionnement. Dans cette suite de courts poèmes en prose, Rose-Marie François parvient à opérer une lente réconciliation entre les paysages insupportables du souvenir et les arides lendemains dans la quête des mots, dans la naissance de la voix « là où patauge l'inimaginable ». Les trente-cinq poèmes en vers qui composent le récent recueil Fresque lunaire, édité avec goût par les Editions du Noroît, sont écrits dans un registre différent. Le vers y chante volontiers ; les ombres de l'enfance affleurent encore, mais baignées d'une lumière moqueuse. Dans le tableau de Véronèse illustrant la couverture du livre, une petite fille en trompe-l'œil va marcher, jouer puis grandir « sous la voûte élancée des arbres » dans des poèmes ouverts comme « la porte que l'on dessinait par terre / pour y pousser du pied / l'entrée du paradis. » A l'instar de François Jacqmin avant elle, Rose-Marie François excelle à illustrer dans sa poésie ce don de patience, précis et voluptueux, tel un pont jeté entre l'attente et le silence. Deux livres à lire comme on brode, dans la vacance du cœur et de l'esprit.
Karel Logist