Julos BEAUCARNE
Voyage à la lisière de l'infini
Le Fennec éditeur
1994
131 p.
Le stylo du pèlerin
L’homme, souvent, craint de se retrouver sans balises pour vivre. En d'autres mots, la liberté lui fait peur. Alors, il privilégie certaines choses à d'autres : les livres qui ont un début et une fin fixés à ceux qui demandent l'oubli des règles, les voyages (intérieurs) organisés à l'errance qui doit inventer son propre ordre de route. Bref, si l'on veut qu'il se perde, il faut lui en donner les indications, ce que fait Julos Beaucarne au début de son livre : « Le mode d'emploi consiste à dire qu'il n'y a pas de mode ni de façon de lire ce livre, de le compulser, de le faire passer dans son gueuloir. On le prend où on veut, matin, midi ou soir, même la nuit si on est tant soit peu insomniaque. Il n'existe pas de posologie précise ; les ingrédients du livre sont, pour l'essentiel, des mots de langue française que l'on peut faire zonzonner à loisir dans son oreille. » On ajoute : des mots qui se regroupent en des textes courts de forme variée (poèmes en vers et en prose, réflexions, contes...) et qui disent tous le voyage, le « voyage d'en soi-même » surtout. Qui tentent tous de discerner Tailleurs, Tailleurs intérieur avant tout. Et tracent tous des « sentiers et des routes vers le beaucoup, vers le rien, vers l'immense ». Vers la mort, cette ultime exploration que nous ferons immobiles puisqu'il y règne « le non-mouvement », le «non-temps », le « oui-éternité ». Cette mort que ne peut, bien entendu, décrire Julos Beaucarne. Qui le sait et qui dès lors reste à sa lisière. A voyager comme tout un chacun. Avec ou sans bagages. Avec pour bâton de pèlerin son stylo Shaeffer grâce auquel il écrit et calligraphie, grâce auquel « il se frotte à beaucoup de langages pour trouver le sien, pour qu'il ne ressemble à aucun autre sous le ciel bleu, pour qu'il traduise bien notre réalité unique de voyageuse ou de voyageur né à une certaine heure, un tel jour, une telle année, du ventre de telle femme ». Grâce auquel il interroge son travail d'écrivain, de « petit fabricant texteux » entre micro et macrocosme : « Je ne serais donc qu'un chroniqueur qui retourne la peau du voyage, qui creuse à l'intérieur de sa propre chair et qui ramène à la surface de l'or ? » Ou/et : « L'écrivain est-il une navette qui fait jonction des mondes et ramène des messages de l'espace ? » Et si poser ces questions était y répondre ?
Michel Zumkir