André BLAVIER
Le mai du pays ou Les travaux forc(en)és.
Ed. Yellow Now / Temps mêlés.
La chanson de Blavier
Tout petit sans doute, André Blavier écrivait déjà en blavien, cette langue dans la langue où mots-valises et coqs à l'âne, pastiches et postiches, clins d’œil au ixième degré et calembours navrants carambolent et se télescopent en un ahurissant feu d'artifice. Remettant sur le métier son ouvrage, le Grand Patangon des Hautes Etudes pataphysiques nous livre la troisième édition « considérablement remaniée et quasiment doublée » du Mal du pays, suivi de Cinémas de quartier, de La cantilène de la mal-baisée et des Remembrances du vieux barde idiot, refondus en une seule coulée épique de quatre mille deux vers : une seule geste parodique que l'on peut choisir de lire d'affilée (attention au souffle) ou de consulter comme une petite Encyclopédie portative. On notera ainsi qu' à la faveur de sa remise à jour, Noël Godin et Madonna, l'Europe de Maastricht et le Minitel rosé, le tunnel sous la Manche et les fausses factures du P.S. font leur entrée dans cette vaste épopée du déduit qui s'aurait pu titrer La Foutriade, si le titre n'était déjà pris par un anonyme célèbre du XIXe siècle.
Du « plaisir charnel de manier la langue » et les créatures du beau sexe, c'est en effet tout un, et notre « Pindare vermoulu », qui sait « l'art d'évoquer l'amour en un seul vers / - Flanqué de quatre mille et un supplémentaires ! » connaît aussi celui de décliner la langue verte dans les trente-deux positions. Blavier, qui aime bien la prosodie françoyse, la châtie bien itou (littéralement). Egrenant la ballade des dames de son temps jadis sur l'air de la grande poésie didactique, fécondant ses exercices de style par le dictionnaire de rimes et les aide-imagination de Roussel par les plaisanteries de l'Almanach Vermot, il chahute le lexique et bouscule les niveaux de langue, il digresse et néologise, il compile un catalogue d'érudition considérable et saugrenue, il apostrophe le lecteur ou s'admoneste de son incontinence, il triche enfin avec la diérèse et tire à la ligne (un peu : « J'écris n'importe quoi pourvu que ça m'arrange / Et me conduise à mes quatre mille et deux vers »). Bref, il livre le poème et son mode d'emploi, La chanson de Blavier et Comment j'ai écrit certains de mes vers.
Oeuvre savamment truculente, oui ; mais aussi de salubrité publique, qui oppose la dépense « à perte » du commerce charnel à l'omnipotence sinistre du « Grand Marché ». Jongleur et virtuose, certes ; mais chez Blavier, le penchant obsessionnel pour l'accumulation et l'épuisement systématique de la rhétorique (et du lecteur !) sont la politesse d'une inguérissable nostalgie, qui est au cœur de l'entreprise.
Thierry HORGUELIN