Paul EMOND
A l’ombre du vent
Lansman éditeur
1998
58 p.
Partir revenir partir...
Dans la littérature de Paul Emond, les gens se croisent, ça fait plein d'histoires, de déboires. Un peu comme dans la chanson de Jeanne Moreau, celle qu'elle interprète dans Jules et Jim : « On s'est connu/on s'est reconnu/on s'est perdu de vue/on s'est reperdu de vue/on s'est retrouvé/on s'est réchauffé/puis on s'est séparé/chacun pour soi est reparti dans le tourbillon de la vie... * Mais les personnages de Paul Emond n'ont ni les bracelets autour des poignets, ni le regard des femmes fatales... Leur vie n'a ni la légèreté ni le glamour des images en noir et blanc. Elle ne tourbillonne pas, elle flotte dans une brise un peu glacée et se cogne au quotidien jusqu'au désenchantement... Du moins la vie des protagonistes de ses dernières pièces publiées, A l'ombre du veut et Le Royal, car le héros de Hein la vue, son deuxième roman, que rééditent les éditions Labor dans une version corrigée par l'auteur, vit une vie époustouflante, grand-guignolesque qui nous laisserait sans respiration.
Paul EMOND
Le Royal
Lansman éditeur
1998
54 p.
11 emporte le leadeur dans une fantaisie débridée et langagière au point de le laisser tel un enfant qui n'en peut plus mais dit « encore ». Rappelons brièvement qu'il s'agit du récit des mésaventures farfelues de Céleste Crouque qui, devenu aveugle après avoir reçu une casserole d'eau bouillante ou de vitriol — il ne sait plus —, retrouve la vue mais en garde le secret. Comme Michel Strogoff. En moins héroïque mais avec une langue bien pendue qui tourne, détourne et retourne les clichés, frôle le populaire, l'expression orale et sème une flopée de points d’exclamation. On en compte peut-être autant que de points de suspension chez Céline ou chez Sollers-se-prenant-pour-Céline. Les deux pièces sont bien moins échevelées. Mais comme Paul Emond reste cet amateur de farce et d'ironie, dans A l'ombre du l'en!, sévit Albert qui s'est surnommé « le bousilleur ».
Paul EMOND
Plein la vue
Labor
coll. Espace Nord
1998
320 p.
Partout où il passe une calamité survient. Ainsi un jour, il conseille à l'un de ses amis d'emprunter la voiture flambant neuve de son père. Le sanglier qu'ils ont rencontré n'était pas inscrit au programme. Ni la suite ; les deux compères embarquent l'animal pour prouver comment la voiture a été accidentée. Seulement il se réveille et démolit l'habitacle du véhicule. Cette anecdote engendre une comparaison. « Apres le retour de Tom, la maison des collines a ressemble à cette voiture-là après le passage du sanglier. » On aura compris que toute la pièce est la résolution d'un processus de destruction déjà mis en branle bien avant son début, la maison des collines, c'est celle où vivent deux sœurs (Yvette, Christiane) et un frère (Jo) ainsi que quelques hôtes de passage. Christiane, l'aînée, la dirige de main de maître à coup de sacrifices et de pâtisseries. Mais elle aime trop Jo et ne prête guère attention à Yvette. Cette dernière, bloquée dans une chaise roulante, ne rêve que de s'envoler. Autant dire de quitter la maison. Ce qu'elle fera quand elle sera parvenue à se faire aimer d'Albert. Jo, lui, aime Catherine, une femme aussi belle que mythomane. Des hommes se seraient suicidés pour elle, d'autres auraient tenté de la tuer. Même Jo. Il finira par mourir, dans une embardée de voiture, avec elle a ses côtés. Ils allaient enfin vivre loin des collines où l'on s'aime mal, se déchire, où l'on ne s'aime pas ou trop... Où l'on parle les uns aux autres et où Ion vit dans un hiatus permanent. Est-ce que tous mentent, est-ce qu'ils perçoivent juste la réalité chacun à leur manière ? Est-ce que Jo a voulu envoyer Catherine dans un ravin ou a-t-il simplement perdu le contrôle de la voiture pour se retrouver dans un fossé ? Et plus tard, dans l'accident fatal, au même endroit, qui est responsable de quoi ? Jo mort, Yvette partie, Christiane reste seule, ruinée, avec la maison. Elle tombera malade. Alex achètera la demeure et encore une fois, demandera à la sœur aînée de vivre avec lui. Nous ignorons encore sa réponse.
Si dans la maison des collines, on va et vient, si on la fuit après y avoir vécu, au Royal, vieil hôtel d'un autre temps, on se réfugie. Pour les mêmes raisons de vie ratée et d'amertume. Ursule y entre avec ses peines. (« Ma vie tu veux que je te la récite ? Un champ de bataille jonché de passions décapitées. Un régiment entier d amours éventrés, fauchés en pleine jeunesse. ») Comme ces autres gens qui ont joué leur vie à pile ou face et ont perdu. Valentin, le barman aime Albertine, la réceptionniste qui rêve de devenir actrice et qui aime Antoine qui ne lui téléphone jamais. Mais Simone, elle, rajeunit. Elle n'a plus à s'occuper ni de son fils ni de son mari, que d'elle-même. Et encore une fois les relations d'amour se frottent aux relations familiales jusqu’ à se détruire les unes et les autres. Par exemple, les deux sœurs, Claire et Martine s aiment trop pour laisser une place à Julien. Elles le détruisent pour rester ensemble. Mais il n'y a pas que les relations qui s'emmêlent, le passé et le présent cohabitent sur la scène comme dans la vie. Et quoi mieux qu'une maison, qu'un hôtel pour se souvenir de tout, pour laisser vivre des fantômes. Peut-être rien, Peut-être est-ce pour cette raison que ces lieux prennent autant d'importance que les gens qui s'y croisent. Comme dans une pièce de Tchékhov.
Michel Zumkir