Vinciane PINTE
La domination féminine.
Une mystification publicitaire
Bruxelles
coédition Labor et Editions Espace de Libertés
2003
83 p.
Une femme et un homme
La thèse défendue par Vinciane Pinte dans ce court essai est claire, et parfaitement résumée par son titre : La domination féminine. Une mystification publicitaire. Il ne faut pas être spécialiste des médias ni pervers publiphage pour se rendre compte que, particulièrement dans les magazines, l'image de la femme véhiculée par la publicité a considérablement changé ces dernières années. Au point de donner l'impression, à qui n'y regarde pas de trop près, que certaines des revendications (voire des obsessions) féministes s'y trouvent réalisées. Erreur, dit Vinciane Pinte. Cette révolution n'est qu'une évolution. La femme libérée de la publicité est une figure illusoire, un simple trompe-l'œil. Sous couleur d'émancipation, elle reconduit en fait les vieux archétypes, dont elle se contente d'inverser les termes. La figure centrale est, en effet, celle du renversement, que nombre d'images publicitaires illustrent d'ailleurs en le prenant au pied de la lettre. Soit par exemple une série d'annonces réalisées pour Sisley, marque de vêtements filiale du groupe Benetton (celui-là même dont les images, dues au génie provocateur du photographe Toscani, furent perçues à l'époque comme autant d'électrochocs visuels). Elles montrent des jeunes femmes pleines d'assurance soumettant à leur joug des hommes qui se prêtent avec bonne grâce au jeu de la domination : tantôt elles le chevauchent telle une monture docile, tantôt elles lui enfoncent dans le dos leurs talons aiguilles, tantôt encore elles lui taquinent le postérieur à coups de chaussure... Dans la construction de l'image, la femme est certes en position de force, elle occupe le haut de l'image, se tient de face et fixe le spectateur de manière provocante, etc. Mais d'un autre côté, elle ne se départit pas de son rôle de femme sexy, adoptant les poses et les attributs vestimentaires de la séduction classique, en une figure somme toute pas très éloignée de celle de la « femme fatale ». Même chose pour la célèbre campagne publicitaire lancée dès 1996 par Kookaï, autre marque de vêtements, et qui montre des hommes miniaturisés soumis aux caprices de femmes géantes. L'homme s'y trouve réduit, dans tous les sens du terme, au rang d'animal (insecte ou poisson) ou d'objet (balle de jokari, friandise, coton de démaquillage — voire même vulgaire déchet que l'on retire de la crépine d'une douche). Ici encore, il n'est pas difficile de voir que cette inversion du rapport de forces, redoublé d'un fantasme de toute-puissance, s'inscrit dans une logique purement imaginaire, qui plonge ses racines dans l'inconscient collectif, symbolique des rêves ou contes de fées. Ce qui est évacué de la sorte, ce sont les rapports réels, ceux qui inscrivent la relation homme-femme dans des situations vécues quotidiennement à la maison ou au travail. L'espace dans lequel se déploie le renversement est celui du fantasme, et non de la réalité. A quand la représentation, dans une image publicitaire, d'une femme présentée en position de supériorité, ou simplement d'égalité, face à un homme, dans une attitude qui ne la ramène pas, d'une façon ou d'une autre, à l'un de ses stéréotypes ? La démonstration de Vinciane Pinte est, pour l'essentiel, irréfutable. On pourrait certes lui opposer d'autres images publicitaires, où l'homme et la femme sont montrés dans des rôles qui échappent aux vieux clichés (on pense par exemple à la belle campagne menée depuis des années par Spa Monopole). On pourrait lui reprocher, ici ou là, de tirer un peu sur la ficelle, de simplifier quelque peu l'interprétation — chose d'ailleurs inévitable dans toute analyse de ce genre. On pourrait, dans le même ordre d'idées, penser qu'elle sous-estime l'humour, la créativité, la complexité de certaines publicités (Kookaï, précisément, en est un bon exemple) : en rendant celles-ci plus efficaces, et donc plus redoutables, ils obligent du coup le sémiologue à diversifier sa panoplie, à affiner son approche. Mais cela n'enlève rien à la pertinence du propos et à la justesse de la plupart des analyses. On recommandera donc volontiers la lecture de ce petit ouvrage qui, par son absence de jargon (malgré une formulation parfois un peu lourde), s'adresse à un public assez large, mais qui pourrait également rendre service aux enseignants que cette matière concerne : il y a sans doute là de quoi susciter des débats aussi passionnés que passionnants...
Daniel Arnaut