Marc QUAGHEBEUR
La nuit de Yuste
Bruxelles
Le Cormier
2000
57 p.
Un point de vue incertain
Commissaire au Livre de la Communauté française de Belgique, Marc Quaghebeur a longtemps travaillé sur la figure de Charles Quint dans la perspective de la commémoration du cinq-centième anniversaire de sa naissance. Il édite aujourd'hui au Cormier un livre centré sur la figure et le destin de l'empereur gantois, La nuit de Yuste, œuvre de poète plutôt que d'historien, mais dont la lecture exige de solides connaissances préalables tant sont nombreuses les allusions, malheureusement toujours elliptiques, aux grands événements du règne.
Yuste est ce lieu en Estrémadure où Charles Quint se retira après son abdication en 1556, dans une demeure voisine du monastère Saint-Jérôme, et où il mourut deux ans plus tard. L'ouvrage, qui compte trois parties, commence du reste par une évocation de cette maison aux vastes proportions, que nous découvrons sur les pas d'un narrateur au statut incertain : « Modernité de l'édifice. Flandres et Italie s'y sont comme transsubstantiées. Des deux cultures, les flatulences ont disparu. » Qui parle ici ? A la fin du recueil, dans la partie intitulée « Les grandes eaux », il s'agira du vieil empereur lui-même, méditant devant les portraits qu'a composés de lui le Titien et dans lesquels il reconnaît les signes de la vérité ultime qui fonda sa vie. Mais pour les deux premières (« La nuit de Yuste » et « Si loin, l'Escaut »), on dirait plutôt un personnage qui épouse le point de vue du monarque pour recréer de l'intérieur ce qu'il a pu éprouver, — ce qui ne l'empêche pas d'aborder l'histoire avec des acquis contemporains, tels ceux qui l'amènent à parler de « Renaissance », par exemple.
Le texte procède par phrases courtes, au rythme bien marqué, souligné par des assonnances, des allitérations, des constructions en parallèle. L'ensemble donne l'impression d'un drapé un peu raide mais de noble apparence, agité parfois par une violence contenue, où pointe l'émotion. Phrasé qui ne manque pas de grandeur, et qui marque la volonté de cerner la figure de Charles Quint dans une image hiératique, où se fixeraient enfin l'énigme de son existence, le sens de son action politique et guerrière, la vérité dernière de sa vie. L'empereur se reconnaîtrait-il dans ce portrait ? Je ne puis, hélas, en juger.
Carmelo Virone