Marianne DU MARAIS
Verbes, avec morts
Editions Talus d'approche
1995
163 p.
Récits de morts annoncées
Il y a quelques mois, lorsque nous parlions de tombeau à propos de l'œuvre naissante de Marianne du Marais1, nous ne pensions pas la qualifier si justement. Nous ne savions pas que son deuxième recueil viendrait confirmer si fermement ce que nous n'avions fait que (p)ressentir : dans Verbes, avec morts chaque récit est le caveau d'un corps, la tombe de lui-même, faisant de l'ensemble une fosse commune. Nous poursuivions notre article en disant que ces textes-sépultures s'effritaient, atteints de mélancolie. Là aussi nous pointions quelque chose qui allait se retrouver, en grande récurrence, dans le livre suivant. Entendons-nous bien, nous ne parlons pas du travail d'écriture qui lui nous semble (presque) infaillible mais bien de ce qu'il met en évidence, obsessionnellement, au point de nous donner le vertige : la précarité de tout échafaudage, l'impossibilité d'instituer un mot, un nom, un monde autrement qu'en mirage parce que tout est atteint de la maladie de la mort. Ces constats, Marianne du Marais les étend même jusqu'aux fondations de ses récits. Le texte Bouger sur quatre roues : mouvement avec fin peut paraître à cet effet assez symptomatique. La narratrice y tente le croisement d'un livre sur le code de la route et un phantasme sur une tombe du cimetière de Laeken où repose Camille Jénatzy, coureur automobile mort en 1913. Elle n'arrivera qu'à des déceptions. Parce que les mensonges, les illusions sont dénoncés : contrairement à ce qu'elle a cru, Camille Jénatsy n'est pas mort d'un accident de la route mais de chasse. Et ce n'est pas son nom que porte une rue de Schaerbeek mais bien celui d'un homme politique, dont le prénom était Constantinus et non pas Camille. L'erreur était possible puisque sur la plaque ne figurait que l'initiale du prénom. Ailleurs Marianne du Marais essaie de donner une étiquette à l'innommable : dans le récit intitulé Remercier quelqu'un, où une enseignante écrit jour après jour, du premier au huit novembre — cette période incluant, faut-il le préciser, le Jour des Morts — pour cerner sa position dans la vie dite active, on peut rencontrer un homme, obsédé par les cordes, à qui « on donne trois lettres, sans le nommer on l'appelle SNP (Sans nom patronymique) ». Par la suite une mort surviendra. Reste la surprise de savoir de qui et comment. Surprise finale il y a presque à chaque fois, comme dans toute nouvelle qui se respecte, même si celle-ci n'est qu'une partie infime de l'intérêt du travail d'écriture. Qui n'est pas non plus dans la résolution d'une énigme policière ni dans la mise en scène de morts spectaculaires mais plutôt dans l'expression des soubassements de l'être, du récit. Dans leur course vers le non-être. Course qui peut se voir figer comme dans les derniers mots du dernier texte : « Je suis précipitée. Je tombe. » Après : le point final. Qui suspend la chute. Jusqu'au prochain livre.
Michel Zumkir
1. A propos de De la place du chinois dans la vie quotidienne, Talus d'approche.