Colette NYS-MAZURE
L'enfant neuf
Bayard
2005
77 p.
Disparitions
L’enfant neuf' de Colette Nys-Mazure, publié aux éditions Bayard, est un petit livre de moins de quatre-vingt pages, mais grand par le sujet qu'il aborde, le travail de deuil d'une petite fille de sept ans dont l'univers heureux s'est effondré brutalement. Terrible blessure d'enfance : à l'âge de sept ans, Colette Nys-Mazure a perdu ses parents à quelques semaines d'intervalle. Un 17 octobre, un accident de voiture tue son père, le 11 janvier suivant, sa mère meurt à l'hôpital. La fratrie est séparée : le petit frère et la petite sœur sont adoptés dans la famille paternelle, l'aînée, elle, a choisi la famille de Tante Jeanne qui l'a accueillie pendant la maladie de sa mère, préservant ainsi au milieu de ce désastre la complicité des cousines, le territoire déjà balisé, l'école apprivoisée. Désastre : comment survivre à un tel séisme ? Comment accepter que les bras chauds et protecteurs de Papa ne soient plus à portée d'enfant, comment supporter qu'il ne reste d'un homme « vif, odorant et chaud » qu'une momie, froide et sans odeur ? Comment admettre qu'une jolie maman aux cheveux auburn qui vous faisait tournoyer en riant, qui était associée aux odeurs de chocolat chaud, aux goûts des gâteaux, devienne cette statue jaune et émaciée aux mains jointes et glacées sur un lit d'hôpital ? La maison de Wavre avec sa vigne vierge, ses territoires sauvages, sa cabane dans les branches, est perdue à jamais. Il faut reconstruire ailleurs, une autre vie sans ceux qui vous ont désirés, qui vous ont portés, qui vous ont mis au monde. Colette Nys-Mazure relate ces événements, dévoile les sentiments, les peurs de la petite fille de sept ans, dans un premier texte, « L'épreuve », qui se clôt par un poème, « Le for intérieur », tiré du recueil Le dé bleu.
la mort vous a tatoués
elle a tracé autour de vous un cercle
magique
il fascine attire et repousse vous venez d'elle la mère noire et cela se colporte
A l'époque, juste après la Deuxième Guerre mondiale, être orpheline, cela se voit. On porte le deuil, et l'uniforme gris au milieu de tous les uniformes bleus met en évidence le malheur. La petite fille a mal, se sent un instant coupable de la mort de ses parents, n'arrive pas à satisfaire ceux qui lui disent « Occupe-toi de ton petit frère et de ta petite sœur ». Le rôle des aînées n'est jamais facile dans le drame. La rumeur bourdonne aux oreilles des petits, l'anxiété des adultes génère la frayeur des enfants perdus dans les chuchotements, les mi-mots, les mi-voix. Cinquante ans plus tard, la petite fille réveille l'écrivaine et arrive enfin à dire ce chagrin-là. La deuxième partie du livre porte comme titre « Dans sa main ». C'est l'essayiste qui analyse l'impact que cette épreuve tragique a eu sur son existence. Sa rencontre avec une enseignante admirable, Mère Marie-Tarcisius, lui a permis de sortir la tête du malheur et de voir plus loin. La foi catholique qui était déjà solidement ancrée dans la famille a été vivifiée par cette rencontre et, visiblement, a permis à l'enfant de survivre et de grandir. L'épreuve l'a donc conduite « dans la main de Dieu » et c'est cette filiation-là qui émerge des analyses de la seconde partie du livre.
La réflexion se nourrit de beaucoup de références à la littérature chrétienne dont on perçoit qu'elle a été nécessaire à la petite fille pour continuer son chemin. J'avoue ne pas être sensible à cette argumentation mais la respecte forcément. Il y a aussi un troisième élément qui permet au lecteur, plus que l'écrivaine ne le croit peut-être, de mesurer beaucoup de choses. La couverture révèle en fait une photo, celle d'une jolie petite fille, souriante, cheveux bien coiffés, joli pull tricoté à la main comme on les portait à l'époque. C'est une photo que sa maman a fait faire chez un photographe de renom, une photo de maman fière qui en dit long aussi sur la première enfance, celle du bonheur...
Romancière, nouvelliste, poète, journaliste, Colette Nys-Mazure a aussi choisi la voie de l'enseignement. Faire l'école par jeu en correspondant avec son frère et sa sœur a stimulé cette soif de partager, de communiquer, d'éveiller les autres à ce que l'on a soi-même vécu, découvert avec douleur ou émerveillement. Voilà qui explique sans doute la parution simultanée chez Labor d'un deuxième livre, destiné aux enfants, qui raconte son expérience. On y découvre une petite fille amenée à vivre ailleurs, sans ses parents, dans une famille bouleversée mais qui l'aime et l'aide à traverser son épreuve. Depuis ce jour associe texte de Colette Nys-Mazure et dessins d'Estelle Meens. L'histoire se centre sur L’après : pas d'images noires et tragiques de la disparition mais bien des images ocres, des couleurs qui mêleraient celles du soleil, de la vigne vierge de la première maison, de l'automne, avec le souvenir des cheveux auburn d'une maman tant aimée. La petite fille parle à d'autres enfants, confie ses états d'âme, ses découvertes, quelques moments de tristesse qui ponctuent parfois sa nouvelle vie où pourtant, dit-elle, elle est heureuse. Comment elle retrouve son frère et sa sœur en fin de semaine chez les grands-parents, leurs rendez-vous secrets, leurs baisers papillons... Les petites cousines, l'école et l'amitié, les invitations au sein des différentes familles (il y avait onze enfants dans la famille de sa mère !), tout cela montre la diversité des façons de vivre et ouvre l'enfant sur le monde. Les dessins traduisent les sentiments de la petite fille : écrasée par les adultes qui attendent d'elle une décision importante, assurée face aux autres enfants dont elle refuse qu'ils l'appellent « l'orpheline », curieuse du monde, triste quelquefois, le soir au moment de s'endormir quand elle mesure l'absence de ceux qui lui ont donné la vie. Un petit livre qui s'adresse aux enfants à partir de six ans et qui pourrait leur faire comprendre en douceur comment supporter un tel séisme familial, comment accepter la force du destin.
Nicole Widart
Colette NYS-MAZURE, Depuis ce jour, Labor, 2005.