Nicolas CARPENTIERS
La lecture selon Barthes.
L'Harmattan
coll. « Sémantiques »
1998
192 p.
La lecture selon Barthes, selon Carpentiers
Sans lecteur, pas de littérature… Et pourtant, il en aura fallu du temps pour que la lecture soit étudiée par les théoriciens de tous bords — historiens, sémiologues, psychanalystes, sociologues,... Nicolas Carpentiers, aspirant du FNRS, rappelle d'ailleurs, en ouverture de son essai sur Roland Barthes, que la critique classique s'est beaucoup focalisée sur l'auteur, que la sémiologie structuraliste a privilégié le texte et son analyse. La lecture était toujours la laissée pour compte. Barthes signale déjà ce manque en 1968 et fait de la naissance du lecteur le pendant de la très fameuse mort de l'Auteur. Comme toujours, il se démarque de ses contemporains. Même s'il se nourrit de leurs écrits, de leurs théories, il se place toujours un peu à côté d'eux, dans la voie royale de la marge. Quand il s'approprie certaines de leurs trouvailles conceptuelles ou terminologiques, il les déplace, les fait autres, les fait siennes. C'est une des forces de l'étude de Nicolas Carpentiers que de toujours replacer Barthes dans la tradition critique et philosophique, de le rapprocher de ses contemporains tout en cernant sa place originale et d'offrir une connaissance de l'écrivain-écrivant qui dépasse le sujet de son étude. Dans ce travail, plein de maturité pour un jeune critique de 25 ans (comme avait pu l'être celui de Livio Belloï sur Marcel Proust et Erving Goffman), Nicolas Carpentiers a choisi l'axe chronologique pour disséquer le thème de la lecture chez Barthes. Ce qui convient bien, puisque celui-ci semble nourrir, affiner sa pensée par petites avancées, légers décalages, puis qu'une grande rupture apparaît au moment du Plaisir du texte où il aborde la lecture naïve, émotive, le désir de lire : « Entre 1973 et 1977, il va examiner un mode de lecture qui ne distingue pas les signifiés des référents, qui ne prend pas en compte le caractère fictif du texte. La lecture se fait alors participative, émotionnelle, projective... à mille lieues du déchiffrement critique. » Après cette période de réflexion, l'écriture de Barthes quittera davantage encore le mode critique pour n'être plus que littérature avec Fragments d'un discours amoureux et La Chambre claire, où les livres qu'il a lus seront les matériaux même du livre. C'est peu après qu'il s'avoue que ses véritables plaisirs de lecture ont lieu le soir, quand il retrouve la littérature classique, Chateaubriand par exemple. Hasard ? Nicolas Carpentiers ne saute pas ce pas. De toute façon, méthodologiquement, il a décidé de ne pas s'intéresser au Barthes lecteur. Avant cette rupture, l'originalité de la pensée de Barthes est d'associer le texte et le lecteur : « Il tente de penser ensemble le texte et la lecture. Si l'œuvre est une production, il importe que la main du lecteur intervienne pour actualiser les divers sens (...) Il faut donc en découdre avec le mythe du lecteur passif et simple consommateur ». Nicolas Carpentiers rappelle alors l'élaboration de la notion de texte, ses définitions ; on est replongé au cœur des grands débats critiques entre ceux qui pensaient l'auteur comme détenteur du sens du texte et ceux qui affirmaient l'œuvre plurielle, sans sens ultime à atteindre. Ce qui est moins connu, et qu'il pointe, c'est que dès la Grèce antique la notion de polysémie existait, notamment dans la pensée philosophique, mais que toujours il fallait ramasser les différents sens pour atteindre l'intention de l'auteur : « Si la tradition a défini la lecture comme un rassemblement, cela signifie qu'elle a bien perçu le pluriel du texte, mais qu'elle l'a refoulé au nom de l'auteur. Identifier la lecture à un regroupement témoigne bien de ce que la dispersion de l'œuvre n'a pas été ignorée mais plutôt refoulée. Dans cette perspective, l'innovation de Roland Barthes est moins "d'inventer" le pluriel du texte que de l'intégrer dans une théorie de la lecture et de mettre fin à une longue période de refoulement. » Lorsque Nicolas Carpentiers aborde la pensée de Barthes sur la lecture naïve, avec ses rapports à l'imaginaire, au désir, aux fantasmes, il est moins intéressant, plus banal, souvent dans la paraphrase, tout particulièrement dans la section sur l'analité. C'est là l'unique reproche que nous ferons à cette étude, de ne pas toujours arriver à prendre la distance nécessaire pour donner sa propre lecture de Barthes, d'être dans sa répétition. Mais ce n'est heureusement pas fréquent.
Michel Zumkir