Philippe JONES
Le double du calendrier
La Différence
1993
119 p.
La quadrature du temps
Les récits de Philippe Jones ne se laissent pas apprivoiser facilement. Soulignons tout d'abord qu'il ne s'agit pas de nouvelles : l'argument n'y est pas nettement circonscrit, l'unité d'intrigue et d'effet n'est pas nécessairement respectée. D'où une certaine déstabilisation du lecteur qui ne sait, parfois, où se raccrocher pour dégager une signification. Peut-être cette impression découle-t-elle de la démarche poétique de l'auteur, qui privilégie « ce que l'on perçoit sans se l'expliquer », le « diffus sur le concret, [le] liquide sur le solide ». La difficulté provient finalement du fait que ce « perçu », véhiculé dans une prose incisive, est le résultat d'une intense décantation, où ne subsiste qu'une quintessence du réel. Et quelle est-elle, ici, cette quintessence ? Une temporalité complexe, qui conjugue le temps extérieur (celui des horloges) et le temps intérieur (celui que l'on sent passer), avec la durée et l'instant. Sorte de quadrature du temps, comme l'on dit « quadrature du cercle ». La construction de ces courts récits se moule d'ailleurs dans une vision que l'on pourrait qualifier de cubiste : la juxtaposition et la fragmentation des personnages, des événements, des moments, ne se résolvent pas dans un plan linéaire mais trouvent leur place dans une chronologie subjective, aux axes multiples, seule pertinente pour interpréter le récit (encore faudrait-il se méfier de toute interprétation exclusive). Ainsi de ce récit où les voyageurs d'un train se croisent et se décroisent dans un espace clos où s'interpénètrent des bribes de présent et de passé, de réalité et de mirage.
La démarche exigeante de Jones requiert donc une approche délicate, aussi attentive qu'intuitive. Mais au bout du compte, il apparaîtra que « toute ligne difficile à tracer remonte à l'origine » et qu'entre l'écrivain et son lecteur, « le bonheur est une rencontre qui s'installe ».
Dominique CRAHAY