Amélie NOTHOMB
Cosmétique de l'ennemi
Albin Michel
Paris
2001
138 p.
Tragi-comédie dans un aéroport
Oh, pourquoi y a-t-il cette dernière page qui annule le trouble de la lecture (qui se prolongerait si bien, en suspension), qui dénoue l'intrigue, révèle ce qui s'est réellement passé et ce qu'il faut croire (même si elle se veut avant tout l'explication de l'origine du roman, plutôt que sa clef) ? Un conseil, acheteurs et lecteurs de ce dixième (déjà !) roman d'Amélie Nothomb, arrachez-la ! Débranchez aussi télévision, radio, déconnectez internet, fuyez les interviews de l'écrivaine, vous risqueriez d'apprendre trop de choses sur ce livre qui se dévore d'une traite.
Quand on commence Cosmétique de l'ennui, on est en terrain connu : le roman est dialogué, le titre rappelle Hygiène de l'assassin, un des deux personnages pourrait d'ailleurs être le cousin de Prétextât Tach (l'horrible écrivain du premier roman de la demoiselle) puisqu'il s'appelle Textor Textel, qu'il malbouffe avec plaisir, qu'il tyrannise, n'a fait l'amour qu'une seule fois et a tué la femme qu'il aimait-plus-que-tout-au-monde. Et puis au fur et à mesure des pages, la machine se met en place, le scénario réserve des surprises, des rebondissements avant d'arriver à la thèse du livre : le véritable ennemi de chacun est en soi. Dit comme ça, c'est un peu plat, mais on ne veut pas livrer la manière jubilatoire, inventive qu'a trouvée Amélie Nothomb pour le dire. On avancera juste que tout se passe selon les règles de la tragédie classique (unité de lieu, de temps, d'action). Le lieu : une salle d'embarquement à l'aéroport ; le temps : l'attente d'un avion retardé ; l'action : un homme (peut-être) détraqué assaillant un voyageur de ses questions. Encore une fois, Amélie Nothomb ne se refuse rien, s'attaque à la toute-puissance de Dieu, et invente des répliques qui font mouche. Un exemple : « Je lui ai demandé comment elle s'appelait. Elle m'a craché au visage. Je lui ai dit que je l'aimais trop pour l'appeler crachat. » Elle joue aussi de pensées vraiment pas politiquement correctes. On peut penser ce qu'on veut d'Amélie Nothomb, on ne peut nier que c'est quelqu'un qui ose, qui fronde. Et nous fait adhérer à des horreurs le temps d'un instant. Ainsi : « C'est flatteur, un viol. Ça prouve qu'on est capable de se mettre hors la loi pour vous. » C'est terrible, et bien sûr désamorcé au cours du roman par la révélation de qui est le trouble-fête de ces heures d'attente dans l'aéroport. Et là on se dit tous qu'on en connaît au moins un, que peut-être ce qui s'est passé pourrait nous arriver, qu'on pourrait être capable de violer-tuer si nos forces de contrôle se relâchaient ou si la mauvaise part de nous prenait le dessus.
Michel Zumkir