Pol VANDROMME
Céline et Cie
L'Age d'Homme
1996
180 p.
Le style totalitaire
Voici rassemblés quatre textes autrefois publiés par La revue célinienne st consacrés successivement : au comédien Robert Le Vigan ; à Lili la danseuse, dernière compagne de l'écrivain ; aux rapports, parfois conflictuels, entre celui-ci et Marcel Aymé et Roger Nimier, deux de ses plus ardents supporteurs ; enfin à un pastiche célinien — le genre constituant, à mon avis, la critique la plus pertinente, car la plus empathique, d'un auteur. Dans l'ordre : exposition de la « transposition célinienne » qui fait de Le Vigan (« démarche de loup-garou (...), visage incandescent et pâle (...), détresse semée d'étoiles (...), ces mots qui ne glissaient pas à la tirade ») une « créature romanesque » — où l'on surprend un Vandromme pénétrant connaisseur du cinéma français des années 30-40, et admirateur d'Antonin Artaud (« l'un de ces pèlerins d'absolu qui sacralisent la littérature et qui lui intiment l'ordre de bénir l'invisible") ; éloge de la danseuse, cette féerie, « l'état de grâce du monde », qui prouve que le corps a une âme — et la jalousie inquisitoriale de Louis-Ferdinand, qui se représente en « vieux mari cassé perclus » aux côtés de « la Vénus éclatante », et ce jugement terrible de Vandromme : « Quand l'étoile jaune marquait les bêtes en attente d'abattoir, il n'a eu aucune phrase de regret, ni de pitié. Silence sur l'holocauste ! Mais quand la condition des proscrits de jadis devint un peu la sienne, alors, cornedieu, quel tintamarre ! » ; Marcel Aymé tendrement acharné à rétablir Céline dans sa vérité d'homme et de styliste, et ce dernier considérant Aymé comme le plus grand des conteurs français depuis Maupassant — avec en prime ce superbe raccourci antithétique et allitéré : « le désespoir caillé de Céline » face à « la volupté acidulée de Marcel Aymé » ; la fascination de Nimier envers l'énergumène qu'était Céline, mais son rejet de l'énergumène antisémite (« On aurait voulu, écrit le hussard (...), qu'il reconnût comment la hargne antisémite des petits-bourgeois français devint monstrueuse entre des mains allemandes »), et l'hommage de l'aîné au cadet, parce qu'il écrit en « français direct vivant ». Dans le désordre : un clin d'œil connivent à Chavée (« Le solitaire ne se perdait pas dans la file indienne, le peau-rouge allait à la maraude.») ; une phrase vacharde sur les sœurs abusives (Lili resta complètement étrangère aux « confidences arrangeuses de la smala des Isabelle, ribaudes ou rivières ») ; une intrusion narquoise du commentateur politique (« en politique, si l'on a les ennemis que l'on doit, on n'a jamais que les amis que l'on peut. ») ; une perfidie (« On n'avait pas la certitude que ce Front pensait, seulement celle qu'il pensait bien. »).
Par-dessus tout : l'écriture, souveraine, de très haute lignée, hautaine qui n'en peut mais : « Un style personnel est toujours totalitaire. » Illustration : « La croyance idolâtre ne se vainc que par la rectitude de la croyance vitale. Un esprit fort, toujours, est un esprit libre. Non pas libre de faire n'importe quoi, mais de faire ce qu'exigé la tradition de la nature ardente. On vient à bout de la dévotion par le libertinage, mais seulement par un libertinage de guerrier. »
Pol Charles