Jean-Claude PIROTTE
La boîte à musique
La Table Ronde
2004
139 p.
Pirotte solitude poésie
Allons, la cause n'est-elle pas entendue depuis belle lurette ? Ses premiers livres, confidentiellement publiés à Liège, chez Georges Thone, étaient des recueils de poèmes. Et Il est minuit depuis toujours n'en faisait pas mystère : « Je cherche une petite musique. Vraiment une musique de rien du tout, une musiquette (excusez-moi), à mon seul usage, mais que chacun me voyant apparaître entendrait distinctement... » II le sait, ce faux naïf, cet ambitieux modeste, qu'il l'a trouvée, sa petite musique bien à lui : qu'il écrive des romans, des récits, des chroniques, des mélanges, des contes, Pirotte est ici et ailleurs un poète.
De quelle espèce ? Pas tonitruante. Non : feutrée. Un poète parle bas, doucement. Dans l'ombre, de l'ombre, aux ombres. La vallée de Misère prévenait : « songez que mon fantôme a tant et tant de choses à vous dire... » Ici : « il est temps que les fantômes / gouvernent enfin le monde ». Ces figures de l'absence ressuscitent mieux qu'une mémoire trouée les décors, « les secrets perdus », les lectures adolescentes (« saisissez l'orange / que vous offre la dame en noir / respirez son parfum étrange »), les « ciels inespérés » du Zuyderzee, les rengaines de l'accordéon, la vie ordinaire quoi : « solitude poésie / je ne vis qu'entre vos ombres / et moi-même ne suis l'ombre / que de vos ombres éprise ».
Sylvie DOIZELET et Jean-Claude PIROTTE
Chemin de croix
La Table Ronde
2004
40 p.
De quelle espèce, le poète ? Pas décousue. Au contraire : très ordonnée. La composition du recueil ne tente-t-elle pas d'abolir le hasard, lorsque les derniers vers du premier et du dernier poème jettent une arche entre aujourd'hui et hier : « et je ne peux tendre la main / qu'à cette ombre inconnue qui m'appelle » — « salut petit garçon n'écoute que la voix / du fantôme amical qui déchiffre avec toi / le livre de l'hiver quand la neige des toits / enchâsse les secrets des signes et des nombres / à toi seul révélés au Royaume des Ombres ».
De quelle espèce encore ? Eperdue de reconnaissance envers ses pairs, les « veilleurs » d'au-delà de la mort : Artaud rôdant « autour de ce déchirement de toi », Armand Robin perpétrant « son flagrant délit de vie », le très cher Henri Thomas retranché en son « île où le vent gémit », Perros dont on se désole de n'avoir « jamais partagé / la vie ordinaire des ombres », et cette « obscure présence insistante » de Rodenbach.
De quelle espèce toujours, le poète ? Protéiforme : il alexandrine, il octosyllabe, il assonance ou rime riche, il allitère, il oxymore, il archaïse, il vers-libre ou blanchit, il paronomase, il fredonne, il murmure, il poncifie ou gongorise ou contrepète : que de cordes à sa lyre !
Mais surtout, il nostalgise, le poète : le préau de l'école quand languissent les leçons de choses, les fillettes en jupes bleues sous lesquelles la main s'égarait, nos ancêtres les Gaulois, les hannetons disparus (pas tout à fait, cher Jean-Claude : j'en ai hier découvert deux dans mon jardin), l'âme des dimanches, les « nuits ivres d'automne » aux côtés des jazzmen — liégeois certes, mais mondialement reconnus, Jacques Pelzer, Benoît Quersin, René Thomas... Il nostalgise, oh, mais sans apitoiement, et pour casser les reins à l'élégie, rien de tel qu'une pincée de burlesque : « notre maîtresse d'école / épouse un aviateur / le cancre dit : ce coup-ci / notre maîtresse décolle ». Le/la dédicataire du recueil n'est signalé(e) que par des initiales : S.D. Mais à Pâques parut Chemin de croix, une fort élégante plaquette comprenant quinze encres aquarellées de Jean-Claude Pirotte (« Je ne suis pas écrivain, je suis peintre », prétend-il souvent), légendées par Sylvie Doizelet...
Pol Charles