Jacques DE DECKER
Un bagage poétique pour le 3e millénaire
La Renaissance du Livre
coll. Paroles d'aubes
187 p.
La bibliothèque dans l'île
Maintenant que nous voici de plain-pied dans le troisième millénaire et que nous avons pu vérifier que le monde n'a pas radicalement changé en l'an 2000, nous sommes tentés de sourire au souvenir de toutes les promesses (ou les hantises) que ce passage de cap annonçait. Le temps se charge de sentiments, folie douce pour la prospective et nostalgie ou dédain pour les regards vers le passé.
L'intention de Jacques De Decker, inviter de 1993 à 2000 un conférencier par an pour l'interroger, à la tribune des Midis de la Poésie, sur sa bibliothèque idéale dans l'île du nouveau millénaire, pourrait donc, aujourd'hui, passer pour un plaisant anachronisme. C'est oublier que l'an 2000 était envisagé dans sa valeur symbolique et que si la vie quotidienne poursuit son cours sans heurt, l'esprit instille ou avive des questions qui conservent longtemps leur actualité. Et surtout, les angles d'approche des réponses varient d'une personnalité à l'autre, ce qui ne donne pas une enquête exhaustive mais permet la rencontre, et plus si affinités. Les sept invités (D. Sallenave, F.-R. Bastide, G. de Cortanze, J.-J. Brochier, J. d'Ormesson, J. Réda et H. Nyssen) ne sont pas des pythies mais des intellectuels liés de près, et souvent à plus d'un titre, au milieu littéraire. Mis sur la sellette, chacun y va, en conscience, de sa prédiction ou de son esquive, de sa citation ou de l'exposé d'une philosophie, d'une imprécation ou d'un rappel de responsabilité. On appréciera diversement la valeur des jugements et analyses ainsi que le sens de la répartie de ces écrivains. De Decker est volubile, il cite d'abondance et ses interventions s'allongent parfois au détriment de son invité. Mais il est vrai que tous ne sont pas aussi à l'aise en public que seuls devant la feuille blanche et que le texte d'une conférence est toujours un peu sec car il élimine les gestes, l'énergie ou le charisme d'une présence. Il n'y a ni dogme ni diktat et rien ne s'énonce sans humilité ou précaution ; il faut donc aller butiner dans ces champs de réponses pour faire son miel. Mais au-delà de son contenu propre, ce livre prend, à mon sens, toute sa valeur par ce qu'il laisse transparaître. Sommés, en quelque sorte, de jouer les devins, ces écrivains sont mis au pied du mur et contraints de se dévoiler. Les révélations sur leurs pratiques respectives permettent de se constituer, selon les cas, un petit manuel de recettes ou d'anti-recettes d'écriture. Une autre constatation : ces intellectuels ne donnent pas toujours une réponse plus approfondie, mieux méditée, que l'homme de la rue interrogé au hasard... Ce doute ou ce désarroi n'ont rien que de très humain mais ils rappellent que la prudence est de mise face aux avis des experts, surtout lorsqu'il s'avère qu'ils se sentent quelquefois plus à leur affaire dans les bibliothèques que dans le monde.
Le projet de Jacques De Decker était sans doute plus périlleux qu'il n'y paraissait au premier abord mais pas pour les raisons qui semblaient les plus évidentes. Tout le monde n'a pas la gourmandise de Brochier ou la confiance enthousiaste de Gérard de Cortanze !
Jack Keguenne