Sarah BERTI
Classe story
éditions Mois
2004
175 p.
Comme à la télé
Sarah Berti a la plume facile, plongée dans l'air du temps. Un regard tour à tour ironique et tendre sur le monde comme il va, comme il boite. L'amour des enfants et des infinis qu'ils portent en eux.
Des infinis qui peuvent soudain basculer, s'abîmer dans une violence noire. Par un beau matin de juin, dans une école communale villageoise, un garçon de 12 ans, Kevin Pinson, tue froidement d'un coup de feu son institutrice, la douce Mademoiselle Plume, devant la classe pétrifiée. Pourquoi ? Pour être enfin le héros, celui qui tient le premier rôle, qui décide, commande, mène le jeu, lui le cancre, le bon à rien, « le crapaud » comme l'appelle sa mère. Il n'avait rien prémédité en dérobant le revolver dans le tiroir de la table de nuit, avant de partir pour l'école ; l'envie de se sentir fort, simplement. D'ailleurs, il aimait bien Mademoiselle Plume. Et voilà qu'il a sorti l'arme, qu'il a tiré, et qu'il tient en son pouvoir les élèves de la classe de 5e et 6e primaires, devenus en un instant ses otages. Par chapitres courts, haletants, où l'auteur se glisse dans chaque personnage (des quatorze enfants enfermés dans l'école évacuée et bientôt cernée par les forces de l'ordre et les caméras de télévision, aux parents massés anxieusement devant les grilles de la cour, de la directrice accablée au policier bienveillant, qui croit au dialogue), Sarah Berti déroule l'histoire de cette journée de soleil et d'horreur, scandée par les sonneries du téléphone portable reliant Kevin au policier qui se pose en ami, tente à tout prix de raisonner, mettre en confiance l'enfant meurtrier.
Mais Kevin, qui a écrit à la craie, en grandes lettres, le mot « guerre » sur le tableau noir, n'est pas prêt à signer l'armistice. À renoncer au pouvoir tout neuf qui le venge de tant d'échecs, d'humiliations, de chagrins, de colères de gosse mal aimé, rejeté, méprisé. Il dicte ses conditions : libérer son père, détenu pour braquage sanglant, et les laisser filer tous les deux au Mexique, en voiture décapotable. Comme au cinéma. Comme à la télé. Il fait jeter par la fenêtre tous les classeurs, cahiers, journaux de classe. Invente un jeu cruel : chaque élève désignera celui qui sera éliminé. Comme à la télé. Le perdant, l'exclu, en somme, même s'il aura la chance, presque honteuse, de sortir libre... On ne dévoilera pas l'épilogue du roman ; le dénouement d'un fait divers absurde et tragique, révélateur pour Sarah Berti d'une société à la dérive. Kevin est un enfant en mal d'affection, de présence paternelle, qui essaie de changer le monde, de montrer qu'il existe, qu'il est là, qu'il est malheureux. Et la directrice éprouve un sentiment de défaite, de culpabilité, pour n'avoir rien vu, rien compris, et avoir laissé les enfants nager comme ils peuvent dans une mare pourrie, avec des larmes, des poings serrés, des revolvers aussi parfois. Presque tous livrés à eux-mêmes, dans des familles déchirées, rapiécées, minées par le chômage, l'alcool, la violence. Gosses perdus, ballottés, perturbés, à bout de rage et de désarroi qu'ils ne savent pas exprimer...
On entend bien la leçon de tolérance et de compréhension ; l'émouvant plaidoyer. Nous l'a-t-on assez répété : nous sommes tous responsables, voire coupables...
Mais on a une pensée émue pour la grande oubliée du livre, celle qui pourtant chérissait les élèves et croyait en eux : Mademoiselle Plume.
Francine Ghysen