Alain DELAUNOIS
Impasse des pensées. Les carnets retrouvés de Sam Spooner Jr
Yellow Now-Les Brasseurs
coll. A côté
2004
95 p.
Entre pudeur et confidence
C'est comme critique, essentiellement, qu'Alain Delaunois est présent sur la scène littéraire et artistique : à travers ses articles de presse, les nombreuses préfaces de catalogues qu'il a signées, un livre sur le peintre Jean-Pierre Ransonnet, ou encore les expositions dont il assure l'ordonnance, comme ce fut encore le cas tout récemment à La Louvière avec l'hommage rendu par le Musée lanchelevici à André Balthazar. Il apparaît donc naturel qu'abordant pour la première fois le monde de la fiction, il conserve quelque chose de sa fonction première. Son livre, qui paraît chez Yellow Now sous le titre évocateur d'Impasse des pensées, se présente sous une forme ambivalente, à la fois œuvre personnelle (paraissant donc sous son nom) mais aussi « carnets retrouvés » d'un certain Sam Spooner Jr, selon l'indication qui figure en sous-titre de l'ouvrage.
Le procédé du manuscrit retrouvé, vieux sans doute comme le roman lui-même, offre des avantages bien connus, notamment celui qui consiste à donner à la fiction un statut de réalité, tout en dédouanant son auteur. Parfois, il confère une unité à des textes de natures différentes qui, autrement, apparaîtraient disparates. Plus fondamentalement, chez Delaunois, le procédé permet, comme le ferait un opérateur borgésien, d'esquisser les contours d'un personnage, à la fois écrivain et plasticien, à travers des fragments de son œuvre. Qui donc est Sam Spooner Jr ? Un peu looser, un peu charmeur, l'homme est un lyrique assurément, à la façon d'un Eluard ou des poètes courtois (« je me blesse au / temps qui me sépare / de toi », écrit-il dans un de ses poèmes). Ce qui frappe d'abord dans ses écrits, ce sont les nombreux textes amoureux, voire érotiques, où la sensualité le dispute à la tendresse, à l'expression de la passion. D'autres aspects de sa personnalité, son humour notamment et sa propension à la rêverie, se laissent deviner au fil de la lecture, avec une nouvelle, des haïkus, des descriptions naturalistes, ainsi qu'à travers les nombreux documents visuels qui ponctuent le livre : photos principalement, mais aussi dessins ou peintures. Dans sa préface, Delaunois reprend sa position de critique pour décrire les centres d'intérêt de l'auteur (la nature, le voyage...), ses formes littéraires de prédilection, et pour avancer l'une ou l'autre donnée biographique, comme une allusion à sa santé fragile... Mais il incombera au lecteur de dessiner son propre portrait, en fonction de ce qui lui est donné à lire et à voir, et en s'accommodant des ruses de l'ouvrage. Car celui-ci oscille constamment entre l'épanchement sentimental et une volonté de maîtrise, qui se manifeste en particulier dans l'esthétique très léchée de l'objet. On y verra une manière élégante de maintenir à distance la douleur de vivre pour ne pas se laisser submerger par elle, sans pour autant l'entraver car elle a des choses à nous apprendre. La pudeur du dispositif, en effet, n'empêche pas l'aveu, qui parfois s'avère poignant : « le néant est l'imparfait des mots // il n'ignore pas la douleur /il ne dissout pas / l'absence ».
Carmelo Virone