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Critiques de livres

Xavier Deutsch
Les poissons
Bruxelles
Le Cri
2008
156 p.

Dos aux rivages
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 152

Huit mille ans et quelques heures avant Jésus-Christ, au bord de la mer, un grand-père et son petit-fils gardent le phare quand une femme — la dame blanche, la femme du roi des poissons — vient frapper à la porte un jour de ténèbres et de tempête. Ils n'ouvrent pas. Mais cela fait longtemps, quatre années, qu'ils sont seuls, que les sept fils de l'un (parmi lesquels le père, veuf, de l'autre) sont partis chercher femme(s). Alors le petit garçon se met en route, décidé à les retrouver et à les ramener au village. Il part à l'aventure, comme l'ont fait ses aînés, et cette aventure-là doit bien le mener jusqu'à eux puisqu'il n'y a pas d'autre choix que de partir ainsi, droit devant soi, et de poursuivre sa route. Et le petit garçon qui, jusqu'alors, entretenait le feu du phare, «cultivait des salamandres» et n'avait jamais quitté le petit village, part sous un ciel trop grand et pleure à gros bouillons car il se trouve tout de suite perdu, dès qu'il s'éloigne du rivage. Il rencontrera une longue forêt, un crocodile vindicatif et une montagne «plus forte que lui». Il franchira des rivières, aussi. Entre-temps, ses pieds durcissent et noircissent — de nos jours, on dirait que son coeur se galvanise — et il poursuit vaillamment son périple jusqu'à arriver à un grand fleuve, impossible à traverser et qu'il sera contraint de longer pour poursuivre ce qui n'est plus une errance, mais l'aventure de sa recherche. De tertre en plaine, de bord de fleuve en estuaire, le petit garçon deviendra «le roi des savanes de la Terre» et, lui qui était parti de chez lui en pleurant à gros bouillons, apprendra en chemin à ne plus avoir peur.

Dix mille années plus tard, la guerre règne. Une guerre larvée, qui ne semble pas faire énormément de dégâts, mais mobilise les hommes, sans qu'ils sachent exactement quel est leur ennemi. Jim vient de perdre son grand-père et cela fait longtemps, quatre années, qu'il n'a plus vu son père qui s'est engagé dans la marine. Alors Jim décide de partir et de prendre le train pour un long voyage qui le mènera à l'autre bout du pays, où il entend bien retrouver son père qui ne doit pas être mort puisqu'il n'a reçu aucune lettre du gouvernement… Il découvrira des paysages inconnus, voyagera avec un militaire fumeur et serviable, avec une belle dame à la «paisible gravité» qui éveille les soupçons de la police lors des haltes dans les gares.

Et les poissons, me demanderez-vous? Ils sont là, à l'arrière-plan, omniprésents. Eux aussi ont leur roi, eux aussi ont mené leur guerre… Xavier Deutsch les évoque à coups de remarques cocasses, de tournures drôles, et sans se priver d'interpeller le lecteur. Car ce n'est pas tout de raconter une histoire; il faut que chacun participe puisque personne ne peut en connaître tous les détails. Il faut y mettre du sien et se rendre compte que, pendant ce temps-là, les poissons…

Deutsch réussit à merveille un récit à mettre entre toutes les mains, petites ou grandes.