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Critiques de livres

Christian Bussy
Les surréalistes au quotidien
Bruxelles
Les Impressions Nouvelles
2007
255 p.

«J'ai trompé ma femme avec Mariën»
par Éric Delvigne
Le Carnet et les Instants n° 149

De Christian Bussy, on se rappelle surtout les émissions hebdomadaires où, pour le compte de ce qui était encore la RTB, il commentait, d'une voix feutrée et sur fond de musique de chambre, l'actualité des arts plastiques. On sait moins qu'il fut, au cours d'une carrière journalistique bien remplie, un compagnon de route et un fervent défenseur du surréalisme. Aujourd'hui, à l'aube de la septantaine, il reprend la parole pour confier ses souvenirs, avec la complicité bienveillante de Thérèse Marlier, attachée de presse aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Il en résulte un livre intitulé Les surréalistes au quotidien – Petits faits vrais. S'il y est bien question de «petits faits», son propos en revanche est plus limité que ne le laisse entendre le titre. Bussy y évoque quelques figures majeures du surréalisme belge, et plus précisément bruxellois, Nougé, Scutenaire, Mesens ou Lecomte, sans oublier bien sûr Magritte. Mais le véritable sujet de ces entretiens, c'est Marcel Mariën, dont la rencontre prend pour lui l'apparence d'une véritable révélation : «Je suis tombé de mon cheval», dit-il, tel saint Paul sur le chemin de Damas. Étonnant aveu quand on connaît l'aversion des surréalistes en général, et de Mariën en particulier, pour la religion…

Voici donc Bussy marchant sur les traces de son mentor, dont il sera, de longues années durant, tout à la fois l'ami, le confident, l'exégète, le chauffeur, l'homme à tout faire, et même un peu plus que cela : «J'ai trompé ma femme avec Mariën», déclare-t-il – en tout bien tout honneur, tient-il à préciser. Mariën, personnage fascinant et contradictoire, travailleur infatigable, maniaque du classement, créateur en perpétuelle ébullition, homme à femmes, voire «obsédé sexuel» (comme tous les hommes, ajoute Bussy, dont la misogynie réelle ou feinte, à l'image de celle de Mariën, fait bon ménage avec l'amour du beau sexe). Mariën peu enclin aux épanchements, aussi avare de ses compliments que de ses œuvres, n'hésitant pas à humilier un Christian Bussy qui, en plus du rôle de porte-valises, endosse volontiers la livrée du souffre-douleur.

Ceux qui aiment les «petits faits» de la vie des grands hommes, souvent plus révélateurs que leurs déclarations de principe, ne seront donc pas déçus. Sans oublier quelques sentences, d'une drôlerie parfois involontaire, qui raviront les amateurs d'aphorismes : «Un véritable surréaliste déménage souvent», «Avec le gauchisme, les hommes ont aussi eu les cheveux longs», «Il faut mourir à trente-sept ans, c'est le bel âge»… Mais on trouve également dans ce livre des considérations moins anecdotiques, comme lorsqu'il insiste sur ce qui distingue les surréalistes belges de leurs homologues français : là où ces derniers, quoi qu'ils aient pu en dire, ont cherché à marquer l'histoire de leur empreinte, les Belges ont toujours privilégié le geste et l'attitude par rapport à l'œuvre finie, refusant de se prendre au sérieux, adoptant volontiers un comportement petit-bourgeois pour mieux donner le change, se démarquant de tout esprit d'école au profit d'un individualisme irréductible.

S'il ravira certains, le livre fera grincer les dents à d'autres, qui ne manqueront pas de se demander où est le vrai et où est le faux, quelle est la part de l'admiration sincère et celle du règlement de comptes posthume. On se gardera de trancher, laissant les exégètes décider de ce qui appartient à l'histoire du surréalisme et de ce qui doit être versé sur le compte de sa mythologie. On regrettera par contre que l'ouvrage n'ait pas bénéficié d'une traitement plus rigoureux : la matière nous est livrée brute de décoffrage, mêlant petits faits et grandes idées, passant d'une époque à une autre, revenant sur des propos déjà tenus, au gré de la mémoire sautillante d'un Christian Bussy que l'on imagine compulsant, dans un joyeux désordre, notes et archives étalées devant lui. Le livre y aurait assurément gagné en intérêt ce qu'il aurait perdu en spontanéité. Mais peut-être est-ce là demander l'impossible?