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Critiques de livres

Paul Couturiau
Paradis perdu
Paris
Presses de la Cité
coll. Sud lointain
2007
318 p.

Vietnam au cœur
par René Begon
Le Carnet et les Instants n° 149

L'amour de Paul Couturiau pour le Vietnam, où il vit aujourd'hui, est le premier message délivré par son dernier roman, Paradis perdu. L'auteur ressemble un peu à Julien, l'un des personnages masculins que rassemble et éloigne un désir commun pour la belle et distante Tâm : sa passion pour le Vietnam préside à son destin d'écrivain, le poussant à s'immerger toujours davantage dans la langue, l'histoire et la culture du pays aimé. Plein de son sujet, Couturiau ne résiste pas au plaisir d'informer, chemin faisant, son lecteur, de certaines de ses analyses, de ses lectures, d'éléments historiques proches ou lointains, ce qui confère au livre, à côté de l'histoire qu'il raconte, un charme documentaire qu'on peut admettre s'agissant d'un pays peu connu des Européens.

L'histoire est prenante : quatre Français amoureux d'une Vietnamienne décident de la suivre là-bas, avec le secret désir de vivre avec elle. Mais, avec le temps, la passion le cède à l'amertume et le roman, qui avait commencé comme un récit de formation et d'amitié virile, s'achève en énigme policière. L'évocation de ces quatre destins d'hommes amoureux d'une même femme et d'un même pays permet à Paul Couturiau d'aborder parallèlement toutes les facettes que peut revêtir la fascination exercée par l'Asie sur les Occidentaux, ainsi que l'usure que le temps imprime aux passions juvéniles, quand le cynisme et l'incompréhension succèdent à l'admiration inconditionnelle. C'est un peu tous ces éléments qu'expérimentent, chacun de leur côté, les cinq personnages principaux du roman : Pierre, le médecin, Claude, le professeur, Vincent, le diplomate et, enfin, Julien, l'écrivain, tous gravitant autour de la belle Tâm, fille d'un industriel sud-vietnamien exilé en France avant la prise de Saïgon par les troupes communistes en 1975.

Sur tous, le Vietnam agit comme un aimant : tour à tour, ils quitteront la métropole pour faire leur vie à Saïgon, chacun dans son domaine de prédilection. Mais si tous sont attirés par Tâm, si c'est sans doute Julien qu'elle préfère, c'est finalement Vincent qu'elle épouse, tout en prenant son rival comme amant. Trouble des sentiments, ambiguïtés des cultures : Vincent, celui que tous auraient pu envier, s'avèrera sans doute le plus malheureux d'entre eux, tant le fossé le séparant de Tâm ne cessera de s'approfondir, alors que celle-ci, toujours sous l'influence de son éducation traditionnelle, s'entêtera à refuser le divorce.

Comment les amitiés fraternelles pourraient-elles durablement résister aux rivalités amoureuses? Devant cette contradiction insoluble, l'auteur introduit dans son récit un pari fou, imaginé par l'un des protagonistes lors d'une soirée arrosée : l'un d'entre eux sera-t-il capable de libérer Vincent du joug exercé par Tâm en commettant sur elle le crime parfait? Lesté in extremis d'un projet criminel rendu plus vraisemblable par la découverte d'une cache d'armes secrète dans la cave de la maison de Julien, le roman se termine comme un polar : quel est le vrai coupable de l'assassinat de Tâm, son mari ou son amant? Ce qui, en définitive, n'en pimente pas tellement l'intrigue.