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Critiques de livres


Pascal VREBOS
Apocalypses
éditions Le Cri
2002
143 p.

Le rendez-vous de Patmos

Homme de radio et de télévision, auteur dramatique, professeur de sémiologie et de stylistique, Pascal Vrebos entrecroise allègrement les fils de plusieurs destins dans son nouveau livre : Apocalypses. Un roman-puzzle, dont le nar­rateur et l'homme orchestre, Aimé, un vieil instituteur à la sagesse souriante, assemble les pièces. Comme on met de l'ordre, au penchant de l'âge, dans ses souvenirs, ses papiers, les livres éparpillés de la vie. Sous ce regard vif et tendre, les personnages posent leur voix, cherchent leur rôle dans l'énigmatique comédie humaine, doutent, bifurquent, tracent leur chemin qui parfois se révèle une impasse.

Emilie, adolescente inquiète, vulnérable, passionnée de littérature, qui cache ses ré­voltes et ses détresses.

Jean, philosophe sarcastique, misanthrope irascible, qui s'est retiré de ce monde de dupes et lance ses imprécations dans le si­lence de sa solitude.

Coralie, dix ans, petit rat de l'opéra, certaine que, de là-haut, sa grand-mère Mélanie, sa fi­dèle protectrice et sa meilleure amie, veille toujours sur sa petite-fille et l'aidera à exaucer son rêve de danser jusqu'à toucher le soleil. Mireille, épouse d'un homme en vue et maman d'Emilie, qui se présente lors de son premier stage de thérapie collective comme une femme comblée, mais devine l'inanité de cette image lisse et heureuse. J.-M. Messidor, monstre pervers qui, du fond de sa prison, adjure ses enfants de croire à son innocence et se proclame bouc émissaire, injustement honni par la société. Pour chacun, Aimé, vieil extasié au cœur compatissant, est un témoin vigilant, un confident.

Jean, son ancien élève, lui adresse des signes de son voyage au bout de la nuit, exécrant toutes les croyances, les leurres, les illusions, pour, écrit-il rageusement, creuser le mystère vide de ma vie.

Emilie lui envoie de loin en loin ses carnets plein ciel, cris d'espoir ou de désarroi, aveux d'impatiente impuissance : J'écris mes his­toires pour essayer de dire ce que personne ne veut entendre et que moi-même je comprends à peine.

La dernière histoire, elle ne l'écrira pas. Emilie, qui ne voulait pas rater sa vie à l'image de tous les adultes, qui avait peur des reniements, du désamour, de l'abandon, s'est jetée dans l'étang du jardin au bord duquel elle avait reçu ses premiers baisers. A partir de là, tout se resserre, s'accélère. Les chemins de Jean, Coralie et Mireille se rejoignent sur l'île grecque de Patmos où saint Jean écrivit l'Apocalypse. Fugitivement, intensément, ils se reconnaîtront, avant de se perdre...

Au total, peut-être que la vie est farce et amertume, ainsi que l'affirme Jean dans ses féroces anathèmes. Mais, Aimé voudrait nous en persuader, l'amour peut la transfi­gurer et nous rendre à notre vérité : grain de poussières d'étoile guettant la lumière. Dommage que ce message vibrant, testa­ment du vieux maître d'école, soit brouillé par une cascade de péripéties, de fausses sur­prises, de hasards trop propices, de coïnci­dences trop invraisemblables, qui font de ces petites apocalypses un divertissement rose et noir, enlevé, adroit, mais un peu court.

Francine Ghysen