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Critiques de livres


Eric DURNEZ
Trilogie pour une compagnie
Editions Lansman
2002
93 p.

Paysages intimes et sauvages

« Trilogie pour une compagnie » Un titre simple qui dit tout : Eric Durnez a écrit trois pièces pour une troupe de théâtre jeune public, dénommée... « Une compagnie ». Brousailles, Échange clarinette, La maman du petit prince ont pour points communs des personnages décalés d'une certaine réalité, des personnages en recherche, travaillés par un secret. Dans Brousailles, une jeune fille venue d'Afrique recherche son père. Elle croise un voleur-héros séducteur puis un jardinier maladroit et rêveur qui pourrait bien être celui qu'elle veut rencontrer. Échange clarinette réunit quatre personnes, deux jeunes hommes et deux jeunes femmes, ils portent les prénoms des comé­diens qui ont créé la pièce. Ont-ils un lien avec leurs interprètes ? Peut-être, Renaud est musicien comme le personnage qu'il a interprété. Mais l'essentiel se niche dans l'imaginaire qu'ils trimballent, qu'ils veu­lent exprimer. Katia dont le grand-père fa­briquait d'extraordinaires clarinettes, vit seule à l'écart du monde et des gens dans un coin de forêt. Y déboule Thierry, inscrit à un concours de clarinettiste avant d'avoir appris à en jouer et à la recherche de l'ins­trument. Renaud y échoue également. Chaque jour, ce dernier compose une chan­son pour sa jumelle Laura... A quatre, ils tentent de recoller des morceaux de leurs histoires et d'échafauder des projets d'ave­nir. Chemin faisant, des couples se forment et ils reprennent une route qui les mène plus loin vers un idéal. Dans « la maman du petit prince », une jeune femme, qui perpé­tue la tradition familiale du spectacle de marionnettes, doit faire de son père et d'un amour dont elle espère toujours avoir des nouvelles. Un soir, elle a suivi un acrobate mais l'histoire s'est terminée le jour où, en chutant, elle se blessa gravement. Fini le cirque. Les marionnettes lui donneront la force de continuer la route. Les parents là-dedans ? Dépassés, « ratés », partis, morts... bref absents. La réalité ? Ici, c'est comme un conte ou dans un rêve : tout est permis comme quand on écrit finale­ment, le monde et toutes ses histoires sont à portées de plume. L'imaginaire est une caisse remplie d'outils se prêtant aux bricolages aussi insolites que bienfaisants. Et rien pour l'exemple dans ces pièces ! La maman du petit prince n'est jamais allée à l'école. Katia, dont la mère a été montrée du doigt par les gens du village, vit sans notion d'argent donc de consommation. Un brin mythomane, la jeune fille, ayant fui l'Afrique et sa mère, in­vente des histoires comme elle respire... Sont-ce vraiment des histoires pour les en­fants ? Elles n'ont rien de didactique, n'ont pas le cachet « sage et propre », rien qui les raccroche à une vogue branchée. Faut-il s'en plaindre ? Ces histoires nous touchent en at­teignant un point intime qu'on ose parfois à peine se dévoiler à soi-même. Elles parlent de douleur, de deuils à faire, de projets partis en quenouille... mais la vie en est faite ! En plus du plaisir qu'en ont donné leurs repré­sentations, il y a donc un « enseignement » ou une catharsis à tirer de ces textes avec des personnages, somme toute, en quête d'apai­sement, Ouf, l'honneur est sauf. D'Eric Durnez, on pourrait dire qu'il écrit des textes sans conflit apparent. Nourri de Tchékhov (dans une pièce précédente, Le début de l'après-midi, il rassemblait les deux jeunes personnages de La mouette, Treplev et Nina, vingt ans après) l'auteur donne à voir les griffures et blessures de l'âme. Tout en veillant à balancer ces intrusions dans l'intime sur des perspectives qui évitent les chemins tracés d'avance. Loin des modes, Eric Durnez n'en finit pas de s'abreuver à cette source. Le parfum du réel est bien là dans les bleus de la vie et dans la fantaisie. Ces pièces sont traversées par des nuages de mélancolie troués par des rayons de bon­heur. A l'horizon, pointe un bout de ciel bleu. Quelques mots, une chanson, et on s'ouvre à un futur. Ces textes, de com­mande, sont-ils taillés sur-mesure à l'usage exclusif d'une troupe ? On gage qu'ils se laissent endosser facilement.

Jeannine Dath